XVIII.
La volonté et ses actes.
Vouloir est une action par laquelle nous poursuivons
le bien et fuyons le mal, et choisissons les moyens
pour parvenir à l' un et éviter l' autre. Par exemple
nous désirons la santé et fuyons la maladie, et pour
cela nous choisissons les remèdes propres, et nous
nous faisons saigner ou nous nous abstenons des
choses nuisibles, quelque agréables qu' elles soient,
et ainsi du reste. Nous voulons être sages et nous
choisissons pour cela ou de lire, ou de converser,
ou d' étudier, ou de méditer en nous-mêmes,
ou enfin quelques autres choses utiles
pour cette fin.
Ce qui est désiré pour l' amour de soi-même et à cause
de sa propre bonté, s' appelle fin , par exemple
la santé de l' ame et du corps ; et ce qui sert pour
y arriver s' appelle moyen , par exemple, se faire
instruire et prendre une médecine.
Nous sommes déterminés par notre nature à vouloir le
bien en général ; mais nous avons la liberté de notre
choix à l' égard de tous les biens particuliers. Par
exemple tous les hommes veulent être heureux, et
c' est le bien général que la nature demande. Mais les
uns mettent leur bonheur dans une chose, les autres
dans une autre ; les uns dans la retraite, les autres
dans la vie commune ; les uns dans les plaisirs et
dans les richesses, les autres dans la vertu.
C' est à l' égard de ces biens particuliers que nous
avons la liberté de choisir ; et c' est ce qui
s' appelle le franc arbitre ou le libre arbitre .
Avoir son franc arbitre, c' est pouvoir choisir une
certaine chose plutôt qu' une autre ; exercer son franc
arbitre, c' est la choisir en effet.
Ainsi le libre arbitre est la puissance que nous
avons de faire ou de ne pas faire quelque chose. Par
exemple je puis parler ou ne parler pas, remuer ma
main ou ne la remuer pas, la remuer d' un côté plutôt
que d' un autre.
C' est par là que j' ai mon franc arbitre, et je
l' exerce quand je prends parti entre les choses que
Dieu a mises en mon pouvoir.
Avant que de prendre son parti, on raisonne en
soi-même sur ce qu' on a à faire, c' est-à-dire qu' on
délibère, et qui délibère sent que c' est à lui à
choisir.
Ainsi un homme qui n' a pas l' esprit gâté n' a pas
besoin qu' on lui prouve son franc arbitre, car il
le sent ; et il ne sent pas plus clairement qu' il
voit ou qu' il vit ou qu' il raisonne, qu' il se sent
capable de délibérer et de choisir.
De ce que nous avons notre libre arbitre à faire ou ne
pas faire quelque chose, il arrive que selon que nous
faisons bien ou mal, nous sommes dignes de blâme ou
de louange, de récompense ou de châtiment.
Et c' est ce qui s' appelle mérite ou démérite .
On ne blâme ni on ne châtie un enfant d' être boiteux
ou d' être laid ; mais on le blâme et on le châtie
d' être opiniâtre, parce que l' un dépend de sa
volonté et que l' autre n' en dépend pas.