PLUME DE POÉSIES
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 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ba-Tou.

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Inaya
Plume d'Eau
Inaya


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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ba-Tou. Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ba-Tou.   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ba-Tou. Icon_minitimeSam 23 Juin - 15:26

Ba-Tou.

Je l’avais capturée au quai d’Orsay, dans un grand bureau dont elle était, avec
une broderie chinoise, le plus magnifique ornement. Lorsque son maître éphémère,
embarrassé d’un aussi beau don, m’appela par le téléphone, je la trouvai assise
sur une table ancienne, le derrière sur des documents diplomatiques, et affairée
à sa toilette intime. Elle rapprocha ses sourcils à ma vue, sauta à terre et
commença sa promenade de fauve, de la porte à la fenêtre, de la fenêtre à la
porte, avec cette manière de tourner et de changer de pied, contre l’obstacle,
qui appartient à elle et à tous ses frères. Mais son maître lui jeta une boule
de papier froissé et elle se mit à rire, avec un bond démesuré une dépense de sa
force inemployée, qui la montrèrent dans toute sa splendeur. Elle était grande
comme un chien épagneul, les cuisses longues et musclées attachées à un rein
large, l’avant-train plus étroit, la tête assez petite, coiffée d’oreilles
fourrées de blanc, peintes, au dehors, de dessins noirs et gris rappelant ceux
qui décorent les ailes des papillons crépusculaires. Une mâchoire petite et
dédaigneuse, des moustaches raides comme l’herbe sèche des dunes, et des yeux
d’ambre enchâssés de noir, des yeux au regard aussi pur que leur couleur, des
yeux qui ne faiblissaient jamais devant le regard humain, des yeux qui n’ont
jamais menti. . . Un jour, j’ai voulu compter les taches noires qui brodaient sa
robe, couleur de blé sur le dos et la tête, blanc d’ivoire sur le ventre; je
n’ai pas pu.

-Elle vient du Tchad, me dit son maître. Elle pourrait venir aussi de l’Asie.
C’est une once, sans doute. Elle s’appelle Bâ-Tou, ce qui veut dire « le chat »,
et elle a vingt mois.

Je l’emportai; cependant elle mordait sa caisse de voyage et glissait, entre les
lattes de la prise d’air, une patte tantôt épanouie et tantôt refermée, comme
une sensible fleur marine.

Je n’avais jamais possédé, dans ma maison, une créature aussi naturelle. La vie
quotidienne me la révéla intacte, préservée encore de toute atteinte
civilisatrice. Le chien gâté calcule et ment, le chat dissimule et simule. Bâ-
Tou ne cachait rien. Toute saine et fleurant bon, l’haleine fraîche, je pourrais
écrire qu’elle se comportait en enfant candide, s’il y avait des enfants
candides. La première fois qu’elle se mit à jouer avec moi, elle me saisit
fortement la jambe pour me renverser. Je l’interpellai avec rudesse, elle me
lâcha, attendit, et recommença. Je m’assis par terre et lui envoyai mon poing
sur son beau nez velouté. Surprise, elle m’interrogea du regard, je lui souris
et lui grattai la tête. Elle s’effondra sur le flanc, sonore d’un ronron sourd
et m’offrit son ventre sans défense. Une pelote de laine, qu’elle reçut en
récompense, l’affola: de combien d’agneaux, enlevés aux maigres pâtures
africaines, reconnaissait-elle, lointaine et refroidie, l’odeur?. . .

Elle coucha dans un panier, se confia au bassin de sciure comme un chat bien
appris, et quand je m’étendis dans l’eau tiède, sa tête rieuse et terrible
parut, avec deux pattes, au rebord de la baignoire. . .

Elle aimait l’eau. Je lui donnai souvent, le matin, une cuvette d’eau, qu’elle
vidait à grands jeux de pattes. Toute mouillée, heureuse, elle ronronnait. Elle
se promenait, grave, une pantoufle volée entre les dents. Elle précipitait et
remontait vingt fois sa boule de bois dans le petit escalier. Elle accourait à
son nom: « Bâ-Tou » avec un cri charmant et doux, et demeurait rêvant, les yeux
ouverts, nonchalante, aux pieds de la femme de chambre qui cousait. Elle
mangeait sans hâte et cueillait délicatement la viande au bout des doigts. Tous
les matins, je pus lui donner ma tête, qu’elle étreignait des quatre pattes et
dont elle râpait, d’une langue bien armée, les cheveux coupés. Un matin, elle
étreignit trop fort mon bras nu, et je la châtiai. Offensée, elle sauta sur moi,
et j’eus sur les épaules le poids déconcertant d’un fauve, ses dents, ses
griffes. . . J’employai toutes mes forces et jetai Bâ-Tou contre un mur. Elle
éclata en miaulements terribles, en rugissements, elle fit entendre son langage
de bataille, et sauta de nouveau. J’usai de son collier pour la rejeter contre
le mur, et la frappai au centre du visage. À ce moment, elle pouvait, certes, me
blesser gravement. Elle n’en fit rien, se contint, me regarda en face et
réfléchit. . . Je jure bien que ce n’est pas la crainte que je lus dans ses
yeux. Elle choisit, à ce moment décisif, elle opta pour la paix, l’amitié, la
loyale entente; elle se coucha, et lécha son nez chaud. . .

Quand je vous regrette, Bâ-Tou, j’ajoute à mon regret la mortification d’avoir
chassé de chez moi une amie, une amie qui n’avait Dieu merci, rien d’humain.
C’est en vous voyant debout sur le mur du jardin -un mur de quatre mètres, sur
le faîte duquel vous vous posiez, d’un bond -occupée à maudire quelques chats
épouvantés, que j’ai commencé à trembler. Et puis, une autre fois, vous vous
êtes approchée de la petite chienne que je tenais sur mes genoux, vous avez
mesuré, sous son oreille, la place exacte d’une fontaine mystérieuse que vous
avez léchée, léchée, léchée, avant de la tâter des dents, lente et les yeux
fermés. . . J’ai compris: « Oh! Bâ-Tou!. . . » et vous avez tressailli tout
entière, de honte de d’avidité refrénées.

Hélas! Bâ-Tou, que la vie simple, que la fauve tendresse sont difficiles, sous
notre climat. . . Le ciel romain vous abrite à présent; un fossé, trop large
pour votre élan, vous sépare de ceux qui vont, au jardin zoologique, narguer les
félins; et j’espère que vous m’avez oubliée, moi qui, vous sachant innocente de
tout, sauf de votre race, souffris qu’on fît de vous une bête captive.

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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ba-Tou.
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