PREFACE
preface de l' autheur, mise à l' entrée de ses
premieres oeuvres poëtiques.
quoy que je te presente un assez juste volume
de mes vers, si est ce que je m' estois proposé
de te le donner encore plus parfait, et plus ample.
Mais comme en cela je n' ay manqué que de loisir, tu
dois croire qu' avec un peu plus de temps et de
commodité je repareray ce defaut. Tu me l' advouëras
possible quelque jour, lors que je te presenteray
une seconde partie de mes oeuvres. C' est là que
j' espere de te faire voir dans plusieurs pieces
nouvelles, et dans des matieres plus solides et plus
serieuses, jusques où peut aller la force de mon
genie. Ce n' est pas toutesfois qu' en publiant ce
livre, je te veuille oster la liberté de juger de
moy. Comme il y a icy assez dequoy exercer ta
censure, peut-estre y rencontreras-tu quelque chose
digne de ton approbation. Je mets en ce noble rang
mon poëme epique du triomphe de la paix, ma
nuit amoureuse, mes vers lyriques sur la defaite
des anglois en l' isle de Ré, le banquet des poëtes,
qui a esté imprimé tant de fois, et tant de fois aussi
loüé des maistres de l' art, l' ignorance abbatuë, et
toutes les autres pieces de plus longue haleine ;
non seulement pource que ce sont les dernieres
que j' ay composées, mais encore pource qu' elles
sont plus capables des grands ornemens de la
poësie. Je ne te dis pas cela pour te persuader que
je sois un grand poëte. Comme je n' ay pas assez
d' esprit pour l' estre, je n' ay pas aussi la vanité
de me le dire. Je reconnois ma foiblesse par tout,
et je n' aspire point à cette approbation generalle,
qui est comme le phoenix en la nature, ou la pierre
philosophale dont tous les hommes parlent tant, et
que pas un n' a sceu trouver encore. Ceux à mon
advis, qui en matiere de poësie avoient plus de
droict d' y pretendre, quoy que diversement, tant à
cause de la difference de leur style, que des diverses
matieres qu' ils ont traittées, estoient Ronsard, et
Malherbe ; et cependant nous voyons comme l' on
croid qu' ils en soient esloignez. Il y en a tel qui
ne croiroit pas estre bon poëte, s' il ne choquoit
leurs escrits, ou ne censuroit leurs moeurs. Il y a
de l' envie, et de l' ignorance par tout, jusques chez
ceux qui sont les plus dignes de pitié, et qui ont
le moins d' interest de paroistre sçavans. J' en ay
veu qui ne pouvant qu' à peine discerner un sonnet
d' avec une elegie, ne laissoient pas toutesfois de
nous juger souverainement, et à cause de leurs
grands biens et de leur authorité, d' imposer le
silence aux autres, cependant que les vrays
connoisseurs ne peuvent s' empescher d' en rire sous la
cappe, et mesme de les percer de quelque trait
d' epigramme satyrique. Quant à moy j' escris
pour mon plaisir, et pour le contentement de ceux
que j' ayme. Je mets en ce rang tous ceux qui
cherissent les muses, qui font cas de leurs favoris,
et qui sçavent les secrets de nostre art. Car pour
ce qui est des autres, il m' importe peu du mespris,
ou de l' estime qu' ils fassent de mes ouvrages. Et
veritablement si j' eusse eu des secretaires à gage
pour fournir autant de copies de mes vers que l' on en
exigeoit de moy, je ne serois pas maintenant dans
l' apprehension de troubler ton repos par un si
mauvais divertissement. Mais l' advantage que tu peux
avoir en cecy, c' est que tu n' as pas à faire à un
importun. Si tu fais paroistre le moins du monde que
tu sois degousté de ma lecture, ce dégoust me
rebutera si bien que je ne me presenteray jamais
devant toy qu' avec un desplaisir de t' avoir donné la
peine de me lire, et d' en avoir aussi tant pris pour
estre leu. Si contre mon esperance, tu me traittes
favorablement, et si tu me fais paroistre que tu as
trouvé dans mes escrits quelque chose qui te plaise ;
sçache que je suis encore en âge, et en estat de
mieux faire, et que mon esprit apperçoit encore des
lumieres et des perfections au de là de tout ce que je
me suis imaginé jusques icy. Si en quelques endroits
de ce livre tu rencontres quelques vers qui
ne te semblent pas si forts, ny si travaillez que le
reste, sçache que ce ne sont que de petites pieces,
qui se ressentent de la verdeur de l' âge où je les ay
conceuës ; ou que ce sont des poësies que j' ay esté
contraint d' accommoder à la portée de ceux pour
qui j' ay escrit ; ou finalement que ce sont des
mysteres connus à quelques-uns, et que je ne suis pas
oblig 2 é de descouvrir aux autres. Aussi comme
d' ordinaire il arrive que chacun n' aime les choses
qu' autant qu' il les croid aimables, et ne s' en
rapporte qu' à la capacité de son esprit, il se
pourra faire que ce que tu estimeras le moins
passera parmy eux pour quelque chose d' excellent, et
de rare. Au pis aller ces petites pieces ne serviront
qu' à relever les autres, et à les faire éclatter
davantage. Ainsi les meilleurs peintres parmy leurs
couleurs vives et delicates en employent de mornes
et de sombres, et les appliquent avec des traits
plus rudes et plus grossiers. Ils meslent la
lumiere aux ombres, et font comme la nature, qui tire
le jour du sein des tenebres. Toutes les fleurs de
la terre ne sont pas des tulippes, ny des roses ;
toutes les parties du ciel, ne sont pas le soleil,
ny la lune ; il n' y a guere de beau temps sans nuage,
de beau visage sans quelque tache, ny de perfection si
accomplie qui n' ait son deffaut. Apres tout, si ces
raisons ne sont point capables de te satisfaire, et
que tu ne m' excuses pas, je m' excuseray bien
moy-mesme. Tu serois bien cruel de persecuter celuy
qui ne travaille que pour ton plaisir ; et j' aurois
bien changé d' humeur, si je me voulois donner la
peine de rendre contens ceux qui tesmoignent de
ne le vouloir jamais estre. N' attens pas que j' aille
emprunter icy la plume de plusieurs amis, pour
me dresser des prefaces, ou des apologies, afin de
prevenir tes atteintes, de publier mes louanges, et
de me faire passer pour ce que je ne suis pas. Je le
pourrois faire aussi facilement que pas un autre,
n' estant pas hay de ceux qui en sont les justes
distributeurs. Mais ce soin repugne à mon naturel,
je suis ennemy du fard, j' aime la simplicité par
tout ; et cela jusques au poinct que personne ne me
sçauroit si peu loüer en ma presence, qu' il ne lise
en mesme temps sur mon visage la honte que j' en
ay. Ce que les autres escoutent avec plaisir, je ne
le sçaurois entendre qu' avec peine ; et ce qu' ils
reçoivent comme un devoir, je ne le reçois que
comme une flatterie. Il faut bien faire de plus grands
efforts d' esprit, pour meriter de la loüange. De ce
grand nombre de poëtes qu' on void en France, je
n' en connois que trois ou quatre, qui ayent droict
de pretendre à la gloire des lauriers. Je les
nommerois icy, n' estoit la crainte que j' ay d' attirer
l' envie des autres dessus eux, et leur haine dessus
moy. Je voy beaucoup de poësies loüées, mais j' en
voy bien peu de loüables. Le peuple est un fort
mauvais juge, et si tost que je luy vois approuver
quelque chose, j' en appelle devant les sages, qui
sont d' un contraire advis. S' il juge bien, c' est par
hazard, et non point par raison, puis qu' en effet il
est depourveu de ceste partie, qui est celle des
bons esprits, et des honnestes gens. Je n' estime pas
un homme plus habile, pour voir son nom en la
bouche de tout le monde, jusques aux chantres de la
samaritaine. Ce qu' ils appellent gloire, je l' appelle
infamie.
Et s' ils meritent quelque recompense,
pour ne point profaner nos sacrez lauriers, il les
faut couronner d' un bouchon de cabaret, puis
que leurs ouvrages y ont esté conceus, qu' ils n' y
ont eu pour livre qu' une bouteille, et pour estude
qu' une table, ou qu' un lit. Ils affichent leurs
actions par tous les carrefours, et l' air des places
publiques ne retentit que du bruit de leurs
desbauches. Certes il me semble qu' au lieu de faire
trophée de ces deffauts, on les devroit cacher
comme des parties du corps que la bien-seance oblige
de couvrir. Le public y a de l' interest, les muses
en sont scandalisées, et les honnestes gens en sont
offensez. Et c' est peut estre d' où provient que ceux
qui estoient autrefois les plus estimez, ne sont pas
aujourd' huy les plus considerables. On mesure
tous les autres à l' aulne de ceux-cy. Et vous
n' avez pas si tost dit que c' est un poëte, qu' il
semble que ce soit une cervelle demontée, et un esprit
evaporé. Chose estrange de la corruption de nostre
siecle, à comparaison de la pureté des siecles
passez ! Dés qu' un homme avoit merité ce glorieux
titre de poëte, on luy decernoit des triomphes
publics ; et chascun le loüoit en particulier,
comme celuy de qui l' esprit esclairé s' eslevoit au
dessus du reste des hommes, et s' approchoit de bien
prés de la divinité. On l' appelloit l' interprete
des dieux, les delices du ciel, et l' ornement de la
terre ; et les roys qui les combloient alors
d' honneurs et de presens, ne travailloient pas moins
à gaigner leur bien-veillance, qu' à estendre les
bornes de leur empire.
Aussi est-ce par ce moyen là que leurs
vertus sont passées jusques à nostre temps, et que
leurs noms sont encore en aussi grand respect
parmy nous, qu' ils estoient durant leur vie.
Monarques, princes, et grands du monde, c' est
en vain que vous faites de belles actions, si vous
estes privez de la plus douce recompense qui puisse
flatter une ame genereuse. En vain vostre valeur
et vostre courage produisent des effets
incomparables, si vous n' avez des hommes capables
d' en entretenir la posterité, et d' en conserver la
memoire dans les fastes du temps. Apres avoir
cueilly des lauriers dans le champ de mars, vous les
verrez bien-tost seicher, si vous ne les transplantez
dans le champ des muses. Il n' y a que les favoris
de ces belles deesses, qui puissent dignement
cultiver de si divines plantes, et ressusciter ce
que la mort tasche d' ensevelir dans un eternel
oubly. Favorisez donc leurs veilles, et secondez
leurs entreprises. Peut-estre que ce siecle n' est pas
si sterile en bons esprits, que vous n' en trouviez
enfin quelques-uns qui sçauront bien dire, ce que
vous sçavez bien faire.