Elegie.
Que cet ardent desir de connoistre le monde,
De repaistre tes yeux de la terre et de l' onde,
De voir la cour des rois, et le toit des bergers,
De prattiquer les moeurs des peuples estrangers,
D' embrasser leurs vertus, de detester leurs vices,
Traversent ton repos, et troublent tes delices !
Et voyant sous tes pieds leur empire abbatu,
Qu' à bon droict tu les fuis pour suivre la vertu !
Ainsi ce grand heros, ce puissant fleau de Troye,
Encor qu' il pût nager dans un fleuve de joye,
Que Bacchus, et le jeu, l' amour, et les plaisirs,
Pussent chez Lycomede assouvir ses desirs ;
Eschauffé d' un beau sang, piqué d' un grand courage,
Il tenta le peril qui suit un long voyage,
Et fit connoistre enfin qu' il n' est point de bonheur,
Qu' on doive preferer au thresor de l' honneur.
Grand prince, c' est ainsi qu' on espand sa memoire ;
Une langueur oisive est indigne de gloire,
Et l' on n' a jamais veu qu' un prince efféminé
Ait eu de verds lauriers le front environné ;
L' invisible démon de ces plantes divines
Les fait naistre et fleurir au milieu des espines.
Poursuis donc hardiment de si rares effets,
Rends le reste du monde estonné de tes faits ;
Cheris plus que tes yeux l' honneur et la loüange,
Marie à ta beauté le merite d' un ange ;
Et puis que tu nasquis de parens genereux,
S' ils sont dignes de roy, monstre-toy digne d' eux.
Tandis, soit que le ciel qui benit ton courage,
Te guide quelque jour sur les rives du Tage ;
Soit que dessus nos bords, de palais embellis,
Tu frequentes la cour du monarque des lys ;
Soit que passant le Pau, ces montagnes chenuës
Qui vont chercher l' hyver jusques au sein des nuës,
Fleschissent devant toy leurs superbes ramparts,
Et dissipent leur neige au feu de tes regards ;
Soit que dessus les bords de cette eau vagabonde
Qui lave sept costaux, sept miracles du monde,
Tu t' abaisses aux pieds de ce chef des romains,
Qui comme un dieu s' éleve au dessus des humains ;
Enfin soit que Vienne, et son fleuve qui bagne
D' un cours large et profond les terres d' Allemagne,
Te reçoive en son sein, te caresse à son tour
Dans le soin qu' ils auront de benir ton retour ;
Prince, je te promets en presence des muses,
Que tu seras l' objet de leurs graces infuses ;
Je te loüray sans cesse, et diray justement
Que le titre de prince est ton moindre ornement.