Disgraces 1632.
Elegie VI.
Au milieu des ennuis, des soûpirs, et des plaintes,
Dont le soin d' un mesnage augmente les atteintes,
J' ay receu, mon Tarcis, ce que tu m' as escrit,
Où beaucoup d' amitié monstre beaucoup d' esprit ;
J' ay veu que te plaignant des coups de la fortune,
Qui flatte pour trahir aussi bien que Neptune,
Tu me dépeins tes maux, et pour charmer leurs cours
Tu cherches dans mes vers un utile secours.
Je n' ay pas le pouvoir de soulager ta peine,
Tarcis esteins ta soif dans une autre fontaine.
Nostre brave Melinte, et ce gentil amant
Qui mit le nom d' Isis dedans le firmament,
Ces deux parfaits tesmoins des langueurs de ta vie
Peuvent à mon defaut contenter ton envie ;
Le ciel leur est propice, et son plus grand plaisir
Est de disposer tout au gré de leur desir.
La muse qui me fuit les cherche, et les embrasse,
Ils ont autant de feu que je suis plein de glace ;
Si leur soin contribuë à divertir le tien,
Tu beniras ton mal d' avoir causé ce bien.
Pour moy de qui la vie à tous maux exposée
Ne trouve sur la terre aucune route aisée,
Qui vois rompre le soir ma trame du matin,
Qui n' ay point d' ennemy moindre que le destin ;
Qui vois celle qu' Hymen à mes voeux a donnée
Succomber sous l' effort d' une fievre obstinée,
Toute pasle et défaite au fort de ses douleurs
Verser sur mon visage un deluge de pleurs,
Languir dans les ardeurs d' une flâme excessive,
Et choir entre mes bras bien plus morte que vive ;
Qui vois d' une autre part ce gage d' amitié,
Cet unique depost de ma chere moitié,
Ce fils qui doit un jour consoler ma vieillesse,
De ses cris innocens redoubler ma tristesse.
Avecque tout cela, crois-tu, mon cher Tarcis,
Que j' aye assez d' esprit pour charmer tes soucis,
Moy qui suis accablé d' une douleur extresme,
Et qui ne sçais pas l' art de me guerir moy-mesme ?