L' amour de Neree.
Elegie II.
Monarque souverain de toutes choses nées,
Qui selon ton vouloir regles nos destinées,
Lumiere des esprits, delices des humains,
Qui tiens leurs libertez captives dans tes mains ;
Saincte divinité, dont j' adore l' empire ;
Amour, puissant démon de joye, et de martyre,
Faut-il que ton couroux s' allume contre moy ?
Que l' on me voye encore esclave de ta loy ?
Et que de tes ardeurs ma jeunesse eschauffée,
Te serve encore un coup de gloire et de trophée ?
J' estois comme un soldat, qui parmy les hazars
A passé sa jeunesse à la suite de Mars,
Signalé son courage au milieu des alarmes,
Et cent fois mis sa vie à la mercy des armes ;
Lors que son poil blanchit sur l' arriere-saison,
Content il se retire au sein de sa maison,
Où goustant le repos dont son ame est ravie,
Il entretient chacun des beaux faits de sa vie.
Ainsi vivant sans peine, et libre des liens,
Dont le cruel amour emprisonne les siens,
Je goustois le repos que la liberté donne ;
Et ne portant envie aux plaisirs de personne,
Dans mes contentemens, je me flattois si bien,
Qu' il n' est point de bonheur qui n' enviast le mien.
Je racontois à tous l' excessive rudesse
Dont me persecutoit ma premiere maistresse ;
Je disois ses rigueurs, et publiois aussi
L' heureux jour que je vis son courage adoucy.
Mais alors si mon coeur se pasmoit d' allegresse,
Autant est-il percé de pointes de tristesse.
Ô Nerée, ô beauté qui fais ce changement,
C' est par toy que j' acquiers la qualité d' amant ;
Tu remets dans mon sein une nouvelle flâme,
Des larmes dans mes yeux, des desirs dans mon ame,
Des plaintes dans ma bouche, et des soins dans mon coeur.
Au poinct que ton bel oeil se rendit mon vainqueur,
Une chaude sueur m' arrosa le visage,
La voix me défaillit, je perdis le courage ;
Et pour n' en point mentir il s' en fallut bien peu,
Que l' on ne s' apperceut des ardeurs de mon feu.
Vienne ce qui pourra, soit que tu favorises
L' excés de mon amour, ou que tu me mesprises ;
Semblable à ces rochers que les flots vont battant,
Je supporteray tout d' un courage constant.
Au moins j' auray la gloire en mon malheur extréme
Qu' il n' est rien de charmant au prix de ce que j' aime ;
Et comme je n' ay point d' égal en loyauté,
Que ma dame n' a point de pareille en beauté.
Aussi la veux-je aimer, mais d' une telle sorte,
Que l' on n' ait veu jamais une amitié si forte ;
Et monstrer dans ces vers tesmoins de mon soucy,
Qu' il n' est rien sous le ciel de plus aimable aussi.