Elegie III.
Ouy, je suis amoureux contre ma volonté,
Quiconque te l' a dit, a dit la verité ;
J' ay long-temps combattu devant que de me rendre,
Mais enfin contre amour je n' ay sceu me defendre.
Cet aimable tyran, dont les puissans efforts
Rangent dessous sa loy les esprits les plus forts,
M' a rendu le captif des graces d' une belle,
Je commence à languir, et souspirer pour elle ;
Et si son coeur se plaist en mon affection,
Je la veux esgaller à sa perfection.
Je sçay comme un amant doit servir une dame,
Quand elle a de l' ardeur autant qu' il a de flâme ;
J' entens tous les secrets qu' on practique à la cour
Pour acquerir le nom de routier en amour ;
Et comme plus que moy de graces tu possedes,
Amy, c' est en ce poinct qu' il faut que tu me cedes.
Crois-tu que je pourrois conserver comme toy
Tant de zele et de feu, tant d' amour et de foy,
Pour une ame de glace, inconstante, et cruelle ?
Que je pourrois enfin cherir ton Isabelle ?
Non, non, bien qu' elle soit un phoenix en beauté,
Elle fait gloire aussi de l' estre en cruauté ;
Et comme dans ses yeux luit une vive flâme,
Une morne froideur habite dans son ame.
Ainsi void-on par fois au retour du printemps,
Alors que du soleil les rayons esclattans
Ornent de mille fleurs le sein d' une prairie,
Un serpent se cacher dessous l' herbe fleurie.
N' apprehende donc point que je sois ton rival ;
Isabelle n' est point la cause de mon mal,
S' il faut que de ce mot, cher Melinthe, j' appelle
La douce passion que j' ay pour une belle.
C' est pour un autre objet qu' amour est mon vainqueur,
C' est une autre beauté qui me touche le coeur.
Mais certes sa douceur la rend autant aimable,
Que les traits de ses yeux la rendent estimable.
Pour elle je veux vivre, et pour elle mourir,
Pourveu que son humeur la porte à me guerir,
Et qu' en voyant ma flâme elle me favorise,
Autant qu' une beauté te fuit et te méprise.