Au lecteur serieux.
Elegie I.
Toy qui dans ces erreurs de ma folle jeunesse
Verras souvent ces mots d' amour, et de maitresse,
Tesmoigne que ton coeur, sensible à la pitié,
Me porte peu d' envie, et beaucoup d' amitié ;
Exempte mes escrits de ce funeste orage
Que ta censure espand sur un nouvel ouvrage,
Puis que j' affecte moins dans ces vers langoureux
Le titre de sçavant, que le nom d' amoureux.
Si tu te sens piqué, dans ce qu' on te propose,
Du genereux desir d' apprendre quelque chose,
Qui soit recommandable, ou pour sa nouveauté,
Ou pour le sainct respect de son antiquité ;
Consulte au lieu de moy ces illustres poëtes,
Ces truchemens du ciel, ces divins interpretes,
Dont les nobles tresors se peuvent desirer,
Mais qu' avecque raison l' on ne peut esperer.
Il me suffit pour moy, si je sçay bien dépeindre,
L' agreable tourment qui m' oblige à me plaindre ;
Un amant qui se voit en proye à la douleur,
Ne sçauroit s' empescher de pleurer son malheur.
Un jour lors que le temps, qui change toutes choses,
Et qui fait succeder les espines aux roses,
Meslera mon poil brun d' un meslange de blanc,
Et que je n' auray plus aux veines tant de sang,
Tant de feu dans le coeur, tant de desirs dans l' ame,
Ny tant de passion pour les yeux d' une dame ;
Alors pour contenter les esprits curieux,
Je n' escriray plus rien qui ne soit serieux ;
Je diray les secrets de la sage nature,
Et du vaste univers la noble architecture ;
J' escriray d' où provient le tonnerre et l' esclair,
Et tout ce qui s' engendre aux regions de l' air ;
Je prouveray des cieux le concert harmonique,
La course du soleil en sa carriere oblique ;
Je diray de ce tout les premiers fondemens,
Les quatre simples corps, qui sont nos elemens ;
Et puis jettant apres un regard sur moy-mesme,
J' accuseray l' erreur de ma folie extréme ;
Je me riray du monde, et de sa vanité,
Qui cherche dans la mort une immortalité ;
Et franc des passions que la gloire nous livre,
Mon exemple apprendra tout le monde à bien vivre.
Mais puis qu' amour me tient sous le joug de sa loy,
Qu' il se sert de Cloris pour triompher de moy,
Je ne veux employer mes peines et mes veilles,
Qu' à chanter ses beautez qui n' ont point de pareilles,
Qu' à dire le pouvoir des flesches de ce dieu,
Qui le font redouter en tout temps, en tout lieu,
Et qu' à pleurer mon mal, mais d' une telle sorte,
Que tout pleure avec moy le mal que je supporte.
Ô vous, à qui ce dieu remply de cruauté,
Voulut ravir le coeur avec la liberté,
Qui mettez vostre gloire à servir une belle
Avecque plus d' amour, quand elle est plus cruelle,
Suivez tousjours les loix que l' âge vous prescrit,
Et ne feignez jamais d' assouvir vostre esprit
De ce qui peut flatter une ame genereuse ;
Aimez, si vostre humeur se plaist d' estre amoureuse ;
Tous les contentemens se suivent tour à tour,
La jeunesse n' a rien de si doux que l' amour,
Comme les vieilles gens n' ont rien qui les contente
Au prix de la liqueur d' une divine plante.
La nature se plaist dans la diversité,
Le printemps suit l' hyver, l' autonne suit l' esté ;
Tel estoit languissant, et foible en son enfance,
Qui soustient son païs, et luy sert de defense ;
Tel aura vaillamment aujourd' huy combatu,
Que l' on verra demain sous un autre abbatu ;
Tel enfin sera propre à conduire une armée,
Et repousser l' effort d' une ville opprimée,
Qui sentant affoiblir son pouvoir nompareil,
Ne sera plus le bras, mais le chef du conseil.
Enfin, quoy qu' on en die, et quoy qu' il en arrive,
Il faut gouster les biens dont l' ignorant se prive,
De crainte qu' estant vieux, impotens, et perclus,
On veüille vivre alors qu' on ne le pourra plus.