Les inclinations.
Quand nous abandonnons cette sombre closture
Où nous retient neuf mois le soin de la nature,
Et que développez de ce profond sommeil
Nous venons saluer la clarté du soleil ;
Le destin qui regit à son gré toutes choses,
Et de qui les secrets nous sont des lettres closes,
Nous force d' obeïr à ses puissantes loix,
Dont il n' exempte pas les princes, ny les roys.
C' est lors qu' il nous remplit de certaines semences,
Qui font germer en nous le desir des sciences,
Dont l' inégalité fait naistre en l' univers
Autant d' arts differens, qu' il a d' esprits divers.
L' un suivant du destin l' ordonnance fatale,
Orne un parquet des fleurs que l' eloquence estale ;
Il surprend, il estonne, il crie à haute voix,
Il cite doctement la coustume, et les loix ;
Et defendant le droict d' une veufve opprimée.
Il joint avec du bien un peu de renommée.
L' autre plus curieux, au mespris des dangers,
Ne respire que l' air des païs estrangers,
malgré l' ire des flots, et l' horrible tempeste
Qui semble à tous momens luy pendre sur la teste,
Il poursuit son dessein, superbe de son sort,
Et va voir sans pâlir l' image de la mort.
L' autre qu' un sang boüillant violemment anime,
Dans l' horreur des combats se monstre magnanime ;
Le flambeau de Bellone est ce qui le conduit,
Il n' aime que le sang, il n' aime que le bruit ;
La pitié ne l' esmeut, les souspirs, et les larmes
Qui percent les rochers, ne percent point ses armes.
Un autre detestant cette aveugle fureur,
Suit le plaisir des champs, et devient laboureur ;
Il cultive sa terre, et fait voir dans la plaine
Moins d' herbes et de fleurs, que de bestes à laine ;
Cerés riche d' espics regne dans ses greniers,
Et Bacchus a son throsne au fond de ses celiers ;
Il travaille en repos, comme quand il sommeille
Il ne craint qu' en sursaut la trompette l' esveille.
Mais pour nous que le ciel traitte plus doucement,
Nous aimons d' Apollon le sainct ravissement ;
Son onde au lieu de lait est une nourriture
Qui nous doit faire vivre à la race future.
Nous tenons le milieu des hommes et des dieux,
Nostre corps est sur terre, et nostre esprit aux cieux.
Libres d' ambition, ennemis de feintise,
Exempts de l' avarice, et de la convoitise,
Vices les plus communs du siecle où nous vivons,
Contens de nostre sort, muses, nous vous suivons ;
Et sans nous arrester aux discours du vulgaire,
Qui ne blasme jamais que ce qu' il ne peut faire,
D' un esprit esclairé de vos rayons divers,
Tout nostre âge s' écoule à composer des vers,
Tantost au fonds d' un bois, ny trop clair ni trop sombre,
Où le jour est meslé du soleil et de l' ombre ;
Et tantost dans le sein des antres escartez,
Agreable sejour de cent divinitez.
Là nous voyons dancer les nymphes et les fées
Aux tetons découverts, aux testes décoiffées ;
Les faunes que l' amour y traitte avec rigueur
Nous font pasmer de joye au fort de leur langueur ;
Echo s' y desespere, et l' amoureux Zephire
S' y pasme de plaisir, comme elle de martyre.
Ainsi tout contribuë à nos contentemens,
Ainsi tout nous ravit dans ces deserts charmans,
Où tu luis, cher Damon, comme luit une estoile,
Lors qu' une obscure nuit couvre tout de son voile.
Les aimables accords de ton luth merveilleux
Font courber devant toy les chesnes orgueilleux ;
Et comme cet esprit si fameux dans la Thrace,
Tu contraints les rochers de te suivre à la trace.
Ce n' est pas sans sujet, puis que fils d' Apollon
Tu regnes avec luy sur le sacré vallon.
C' est là que nous voyons les filles de memoire,
Qui n' estiment leur art qu' à cause de ta gloire,
T' inspirer à l' envy de si doctes chansons,
Que la posterité s' en fera des leçons.
Tantost on te void feindre une amoureuse flâme,
Dont le déguisement n' apporte point de blâme ;
Et tantost eslevant les accens de ta voix
Tu chantes le triomphe et la gloire des roys ;
Ce que tu fais si bien, que tout le monde advouë
Qu' il ne faut rien loüer, ou qu' il faut qu' on te louë.
Tu sçais de tous les cieux les mysteres secrets ;
Mais tu sçais si bien l' art de les chanter apres,
Que quand tu les produis dans tes doctes poëmes,
On croid oüir chanter les muses elles-mesmes.
Ô bien-heureux esprit, qui dans tes jeunes ans
Surpasses en sçavoir les antiques sçavans,
Et qui par des escrits pleins de traits et de flâmes
Donnes du sentiment aux corps qui n' ont point d' ames ;
Desja la Seine enflant la course de ses eaux,
Accorde ta loüange au bruit de ses roseaux ;
Et lors que ses tritons y chantent quelque chose,
Ils y chantent les vers que ta muse compose.
Poursuis donc hardiment, travaille desormais
À t' aquerir un nom qui ne meure jamais.
Mais encor qu' Apollon tes temples environne
Des replis glorieux d' une verte couronne,
Ne sois pas tellement ébloüy du bonheur,
Que tu n' aimes ces vers qui chantent ton honneur.
À M Hartman, prince de Liechtenstein, et
Nichelsbourg. Sur ses voyages.