Desir des champs.
Fraisches ombres des bois couronnez de verdure,
Que zephire caresse avec un doux murmure,
Campagne d' emeraude, et vous tapis de fleurs
Que l' aurore embellit des perles de ses pleurs ;
Grottes dont le cristal ne s' escoule qu' à peine
De peur d' abandonner une si riche veine ;
Beaux canaux de qui l' or s' y mire à tous momens,
Conques, petits rochers semez de diamans,
Sources qui promenez sur l' esmail de ces rives
À longs replis d' argent vos ondes fugitives ;
Oyseaux, de qui l' azur, et les chants gracieux
Charment esgallement et l' oreille et les yeux,
Jardins dont les beautez et les herbes naissantes
Seront malgré l' hiver à jamais fleurissantes ;
Ô silence, ô repos qui me semblez si doux,
Delices de mes sens, quand seray-je avec vous ?
Si cet heur m' advenoit, vos cavernes recluses
Me verroient bien souvent entre les bras des muses ;
Là ces divinitez qui sont tout mon soucy,
Me feroient des faveurs que je n' ay pas icy ;
Elles cherchent l' ombrage et les lieux solitaires,
Le silence est amy de leurs sacrez mysteres,
Ce n' est rien qu' en secret qu' elles nous font la cour,
Elles craignent le monde, et la clarté du jour ;
Et leur coeur est si pur, que ces chastes pucelles
Auroient honte qu' on vid des hommes avec elles.
Là tantost plein d' ardeur je chanterois des vers
Qui ne pourroient perir qu' avecque l' univers,
Maintenant je verrois dans la glace d' une onde
De la terre et du ciel l' image vagabonde ;
Tantost j' escouterois mille petits oyseaux
Flatter de leurs chansons les nymphes des ruisseaux,
Tantost j' irois oüir cette amante esplorée
Qui nous fait pasmer d' aise aux despens de Terée ;
Tantost je verrois Flore en ses plus beaux habits,
Tantost le sein des eaux éclatant de rubis,
Tantost j' escouterois les soupirs de Zephyre ;
Bref, j' y possederois tout ce que je desire ;
Et j' y rendrois enfin mon sort si glorieux,
Qu' il n' est homme ny Dieu qui n' en fust envieux.
Sainctes flames des coeurs, doux charme de memoire,
Qui peignez devant moy l' image de la gloire,
Qui d' une vive ardeur eschauffant mes esprits,
Me rendez jour et nuict de ses charmes épris ;
Si vous avez esté mon unique esperance,
Si je n' ay point suivy les pas de l' ignorance,
Si vos seules faveurs ont chatoüillé mes sens,
Si j' ay tousjours aimé vos plaisirs innocens,
Si mesprisant le soin des richesses du monde
J' ay puisé mes thresors dans le sein de vostre onde,
Si les peuples m' ont veu preferer mille fois
L' ombre de vos lauriers aux couronnes des rois,
Si je n' ay point hay le vain nom de poete,
Muses, octroyez moy le don que je souhaite ;
Retirez moy si bien de la ville et du bruit,
Que je puisse fuir le monde qui me suit,
Et pour me delivrer d' un si fascheux servage,
Enlevez moy d' icy dans le sein d' un village.