Le mespris des champs.
Veux-tu rendre, Damon ton absence eternelle,
Et mespriser Paris qui t' aime et qui t' appelle ?
Les champs deviendront-ils ton unique soucy,
Enfin n' est-il pas temps de retourner icy ?
Quand le celeste chien, des traicts de son haleine
Faisoit mourir les fleurs que fait naistre la plaine ;
Qu' il despoüilloit nos corps de force et de vigueur,
Que l' esprit le plus fort ne vivoit qu' en langueur ;
J' approuvois que le tien libre d' inquietude,
Se relaschast un peu des peines de l' estude ;
C' est un soulagement que nous desirons tous,
Puis qu' apres le travail le repos est bien doux.
Mais tandis qu' Aquilon fait la guerre à Zephyre,
Qu' il outrage Pomone, et trouble son empire ;
Que tout arbre ennuyé de languir sous son poids,
Ne montre au lieu de fruits, que des souches de bois,
Que la terre a perdu sa belle robe verte,
Que de feüillages secs la campagne est couverte,
Et que l' on n' entend plus un million d' oiseaux
Accorder leurs chansons au murmure des eaux ;
Damon, cherche un sejour plus doux et plus tranquille,
Et ne préfere plus la campagne à la ville ;
La ville seule est propre à ce noble dessein
Que l' exemple d' Arcas t' inspira dans le sein ;
Ces deserts qui comme eux te rendent tout champestre,
N' ont rien qui contribuë à ce que tu veux estre.
Et quand mesme l' hyver de ses affreux climas
N' auroit point ramené la neige et les frimas,
Et que la terre auroit pour contenter ta veuë
Toutes les raretez dont elle estoit pourveuë ;
Sans me rien déguiser, cher Damon, respon moy,
Qu' auroit-elle apres tout qui fust digne de toy ?
Là tu ne pourois voir que quelque humeur bouruë,
Que des boeufs accouplez au joug d' une charuë,
Que les flancs escorchez des steriles sillons,
Que des porcs, et des boucs, des vers, des papillons,
Que des limas soüillez d' une bave gluante,
Que de mornes estangs pleins de bourbe puante ;
Que de noires forests, dont le triste sejour
N' est jamais éclairé de la flâme du jour ;
Que de simples oiseaux, pipez d' une voix feinte,
Que des cerfs fugitifs, l' image de la crainte,
Que des sangliers affreux, que des rets décevants,
Que des rochers battus de la foudre et des vents,
Que de sanglantes fleurs, que de la pouriture,
Qu' un dégast general de toute la nature.
Là tu n' entendrois rien qu' un sifflement d' oiseaux,
Qu' un bruit entre-meslé de chiens et de corbeaux,
Que le rustique son d' une fluste inégale,
Que l' accent enroüé d' une vaine cigale,
Que le cry des grillons, que le chant des hiboux,
Qu' un meuglement de boeufs, qu' un hurlement de loups,
Que le bourdonnement d' une ruche sauvage,
Et que les sots discours d' un homme de village.
Damon, ne pense point que la reyne des arts,
Dont nous suivons tous deux les nobles estandars,
Ait jamais pris plaisir à des choses si viles ;
Elle n' a rien aimé que la pompe des villes ;
Elle a laissé les bois pour loger les serpens,
Pour le trouppeau lascif des faunes et des pans,
Et pour l' infame Dieu, dont la nature prompte
Ne rend que les deserts complices de sa honte.
Je sçay que tu diras que le plus beau des dieux
Quitta jadis le ciel pour habiter ces lieux,
Lors que pour obeïr aux volontez d' Admette
Il se voulut charger du faix d' une houlette.
Que le grand Juppiter, ce roy des immortels,
À qui l' antiquité dédia tant d' autels,
Suivant les mouvemens des desirs de son ame,
Abandonna son throsne estincelant de flâme ;
Et que bruslant d' amour, ou boüillant de couroux,
Il dérida son front, et vint rire avec nous.
Il est vray, cher Damon, la chose est avenuë,
Et cette verité ne m' est que trop connuë ?
Mais de grace, dy moy, quand ce roy des flambeaux,
Comme un simple pasteur conduisoit les troupeaux,
Quel estoit son maintien ? Quel estoit son langage ?
Tout le corps luy trembloit de son peu de courage,
La crainte qu' il avoit de recevoir affront,
D' une morne couleur luy pallissoit le front ;
Son teint estoit haslé, sa beauté sans seconde
N' avoit plus cet éclat qui le fait luire au monde.
La fange herissoit l' or de ses blonds cheveux,
Son front ne brilloit plus d' un million de feux ;
Et sa stupidité se monstra telle en somme,
Que de Dieu qu' il estoit, on le crût moins qu' un homme.
Aussi combien de fois sa soeur, dont la clarté
De ses rayons d' argent perce l' obscurité,
Le voyant occupé dans ce lasche exercice,
Rougist-elle pour luy, maudit-elle son vice ?
Et la honte qu' elle eut de son aveuglement
Causa dans la nature un tel déreglement,
Que les hommes plaignant cette perte commune,
Accusoient le soleil d' avoir tué la lune.
Je te l' avouë aussi, que le plus grand des dieux
Abandonna le ciel pour habiter ces lieux,
Lors que dessous la peau d' un bouc, et d' un satyre,
Il voulut appaiser son amoureux martyre,
Et que d' un coeur brutal les nymphes il força
De contenter l' ardeur du feu qui le pressa.
Mais, ô l' estrange effet de sa fureur extréme !
Qu' il se monstroit alors dissemblable à luy-méme !
Au lieu d' estre servy comme une deïté
Qui porte dans ses mains un sceptre redouté,
Qui d' un doigt eternel traça les loix du monde,
Et tira du chaos, le ciel, la terre, et l' onde ;
L' infame passion dont il estoit épris
Le rendit un sujet de haine et de mépris.
Si le sejour des champs est froid et sans amorce,
S' il ravit au soleil sa lumiere et sa force,
Si les bois couronnez d' une fraisle verdeur
Priverent Jupiter de gloire et de splendeur,
Qu' attens-tu de ces lieux ? Croy, si tu les habites,
Qu' ils terniront aussi ta gloire et tes mérites.
Ne te propose pas ces antiques romains,
Qui faisoient vanité de soumettre leurs mains
Au soin lasche et poltron de cultiver des herbes,
De couronner un coutre, et d' amasser des gerbes ;
Cet employ ne convient qu' à ce peuple grossier
Dont le corps est de fer, et dont l' ame est d' acier ;
Puis ce temps-là n' est plus, les siecles où nous sommes
N' ont rien qui se raporte à ceux des premiers hommes ;
Ceux là parmy l' horreur de leurs actes sanglans
Assouvissoient leur faim de pommes, et de glans,
Et les fades surjons des ondes fugitives
Faisoient mourir leur soif dans des sources d'eaux vives.
Mais pour nous que le ciel traitte plus dignement,
Nous sustentons nos corps de ce noble aliment
Dont Cerés obligea la nature mortelle,
Et qui pour nostre bien tous les ans renouvelle ;
Nous savourons le jus d' un sep delicieux,
Le paradis du goust, aussi bien que des yeux ;
Qui réveille nos sens, et qui les purifie,
Qui dissipe nos soins, et qui nous fortifie ;
De sorte qu' évitant les traces de leurs pas,
Nous cherchons nostre honneur où le leur n' estoit pas ;
Et devons-nous souffrir que leur vieille rudesse
Triomphe injustement de nostre politesse ?
Ah ! Que ce grand esprit que le mince conceut,
Et qu' apres son trespas Parthenope receut,
Sçavoit bien mesnager les plaisirs de la vie,
S' acquerir de l' honneur, et surmonter l' envie !
Quoy qu' il ne s' entretint que de ces deïtez
Qui vivent dans l' horreur des antres escartez,
Que les bois, les bergers, la nymphe, et le satyre,
Exerçassent tousjours sa musette, ou sa lyre ;
Cette grande cité, ce chef de l' univers,
Ne resonnoit pourtant que le bruit de ses vers ;
Les superbes palais de la rive latine
Estoient l' heureux sejour de sa muse divine.
C' est là qu' il aimoit mieux enfler ses chalumeaux,
Que sous l' ombrage noir des steriles ormeaux ;
La faveur de son prince animoit son audace,
Il préferoit sa table aux sources de Parnasse,
Et laissant Apollon dans ses antres secrets,
Auguste estoit le dieu qu' il voyoit de plus prés ;
C' estoit là qu' il traçoit les loix du labourage,
Mais tout autre que luy les mettoit en usage.
Damon, suy son exemple, advance ton retour,
Préfere à tes deserts l' éclat de nostre cour ;
Tu verras dans Paris le ministre d' un prince,
Dont le coeur est plus grand que ta vaste province ;
Il aime les esprits qui ressemblent au tien,
Il leur fait de l' honneur, il leur donne du bien ;
Et quoy que ta vertu soit grande et peu commune ;
Il le rendra pourtant moindre que ta fortune.
Vien donc, mon cher Damon, vien promptement icy,
Cerilas t' en conjure, et ton Philandre aussi ;
Philandre dont l' esprit heureusement assemble :
L' adresse, le courage, et la doctrine ensemble.
Regarde quel honneur il s' acquiert parmy nous,
Et comme son merite est agreable à tous,
Suy ce grand ornement des heros de ta race ;
Et t' échauffant le coeur d' une nouvelle audace,
Dy que le bruit du louvre, et l' entretien des rois,
Vallent bien le silence, et l' echo de tes bois.
Le malheur des poetes.