Caprice.
Ennuyé du travail d' une penible estude,
Je conduisis mes pas dans une solitude,
Où d' un vague ruisseau le crystal se respand
Dans le sein d' une plaine à longs plis de serpent,
Où Flore se promeine, où Zephire s' égaye
Dans le feüillage épais d' une blonde saussaye,
Où l' onde tousjours claire, et les prez tousjours vers
Font de l' émail des fleurs des passemens divers,
Où nature a rendu la campagne pourveuë
De toutes les beautez qui contentent la veuë.
Là les larmes aux yeux, et le coeur plein d' ennuy,
De voir que sur Parnasse on a si peu d' appuy ;
Quoy, disois-je, faut-il qu' un si noble exercice
Qu' un acte de vertu porte le nom d' un vice ?
Que ce qui fut jadis les delices des dieux,
Déplaise à nostre siecle, et luy soit odieux ?
Hé quoy ! Muses, faut-il dés qu' on vous fait hommage
Qu' on perde en mesme temps la qualité de sage ?
Vos autels sont à bas, vos temples démolis,
Et vos premiers honneurs sont presque ensevelis.
Les poëtes ont beau s' élever dans les nuës,
Réveler icy bas des choses inconnuës,
Esclairer les mortels d' un feu venu des cieux,
Et leur communiquer le langage des dieux,
Marquer les vicieux d' un trait de couleur noire,
Honorer la vertu, faire esclatter sa gloire,
Affranchir du tombeau ceux que la parque prit,
S' ils meritent de vivre encore en nostre esprit,
Haïr la vanité d' une injuste loüange,
Et mener une vie aussi pure qu' un ange ;
Leur destin n' en est pas plus doux ni plus heureux,
Ils font pour tout le monde, et ne font rien pour eux.
Tousjours la pauvreté leur denonce la guerre,
Elle les persecute et par mer et par terre,
Elle marque leur sort d' un funeste compas ;
Et pour un peu de bruit que les autres n' ont pas,
Elle ne les repaist que de vaine fumée,
Et leur muse en effet est tousjours affamée.
Ainsi je me plaignois de ce siecle pervers,
Honteux d' avoir sans fruit composé tant de vers ;
D' avoir plus estimé les bords d' une fontaine,
Que les riches palais des rives de la Seine ;
D' avoir moins frequenté des hommes, que des dieux,
Quand l' ombre de Malherbe apparut à mes yeux.
Son pied foible et tremblant guidoit ses pas timides,
Son visage estoit pasle, et tout couppé de rides,
Son front se herissoit de sourcis renfrongnez,
Ses yeux estoient hagards, ses cheveux mal peignez,
Sa langue beguayoit, et cette vaine idole
Troubla ma solitude avec cette parole.
C' est en vain, Colletet, dit-il, que tu te plains,
Tu dois estre asseuré des choses que tu crains.
Ceux qui suivent les pas de ces neuf belles fées,
Dont la flâme rendit tes veines eschauffées,
Perdent leur propre bien, au lieu d' en acquerir,
Ils meurent tous les jours, de crainte de mourir ;
Et sans en rechercher un autre tesmoignage,
Contemple seulement la suite de mon âge.
Tu sçais combien ma muse eut de bruit autresfois,
De quelles fleurs j' ornay les couronnes des rois,
Et de quelle douceur je charmay les oreilles
Qui se pleurent d' oüir mes chansons nompareilles ;
Enfin de tant d' honneur je n' ay rien remporté
Qu' un regret eternel d' avoir si bien chanté.
Je suis mort accablé du poids de cent affaires,
Privé le plus souvent des choses necessaires ;
La fortune fatale à me tourner le dos,
Ne travailloit à rien qu' à troubler mon repos.
Il sembloit que le ciel ne prolongeast ma vie,
Qu' afin de m' exposer davantage à l' envie,
Et me faire sentir jusques au monument,
Que l' âge le plus long n' est qu' un plus long tourment.
Pendant les longs replis des fuittes retournées
Qui devidoient le cours de mes vieilles années,
Je ne goustay jamais qu' absinthe ny que fiel,
J' esprouvois tous les jours quelque injure du ciel ;
Les plus grands m' abusoient de leurs vaines promesses,
Les petits me dressoient des embusches traistresses,
Ils cherchoient dans ma mort de notables profits ;
Et la rage du sort esclatta sur mon fils,
Lors que de deux tyrans la surprise infidelle
Arresta de ses jours la course naturelle.
Sous ce fascheux destin je nasquis en ces lieux ;
Tant il est arresté dans le conseil des dieux,
Que tousjours le malheur suivra la poësie ;
Qu' elle aura pour tout bien une lyre moisie,
Et qu' on verra par tout l' ignorant triompher ;
Pitoyables effets de ce siecle de fer !
Si tu veux, Colletet, apprendre d' où procede
La cause de ce mal qui n' a point de remede ;
Escoute ce discours qui contient verité,
Et le resigne apres à la posterité,
Afin que le recit d' une telle advanture
Passe de temps en temps à la race future.
C' estoit, en la saison que regnent les zephirs,
Que le ciel a le front couronné de saphirs,
Qu' amour de qui l' ardeur anime toutes choses,
Fait naistre sous nos pas les oeillets et les roses,
Que les arbres couverts de fueillages mouvans
Semblent prester l' oreille au langage des vents,
Que les ruisseaux trainant leurs carrieres humides
Flattent d' un doux babil les belles nereïdes ;
Lors que dedans le sein d' un desert escarté
Je vis devant mes yeux luire l' eternité.
Un laurier s' enlaçoit, pour marque de conqueste,
Parmy les rayons d' or qui brilloient sur sa teste ;
La fraischeur de son teint n' avoit rien de pareil,
La clarté de ses yeux faisoit honte au soleil ;
Sa bouche respandoit un parfum desirable,
Qui flattoit sa jeunesse éclattante et durable ;
Elle forçoit le temps d' obeïr à sa loy,
Comme un peuple obeït à celle de son roy
Sa voix seule regloit le cours de la nature ;
Une boule d' acier pendoit à sa ceinture,
Où de rares secrets parurent à mes yeux,
Futur estonnement des hommes curieux.
Là je leus tous les noms des poëtes du monde ;
Et dans les durs replis de cette boule ronde,
Je vis ces mots gravez en langages divers ;
Procez de la fortune, et du prince des vers.
Plus bas estoit escrit ; depuis que la fortune,
Qui change de visage aussi bien que la lune,
Qui caresse les fous, et les sages destruit,
Qui préfere au soleil les ombres de la nuit,
Eut couronné Battus de ces branches disertes
Qui font fleurir les noms parmi leurs feüilles vertes ;
Apollon tesmoigna le desplaisir qu' il eut,
Il en quitta Parnasse, il en rompit son lut ;
Et sa trouppe affligée, en ces dures alarmes,
Fit des eaux d' Hypocrene, un deluge de larmes.
Vénus se souvenant que cet astre du jour
Avoit terny sa gloire esclairant son amour ;
Lors qu' appaisant l' ardeur de sa flâme attisée,
Il la rendit au ciel un sujet de risée,
Observe tous les pas de ce dieu couroucé,
Et feignant d' oublier ce qui s' estoit passé,
Luy remet dans l' esprit la fille de Penée ;
Souffriras-tu, grand dieu, qu' elle soit prophanée ?
Qu' un ignorant, dit-elle, ombrage ses cheveux
De ce qui fut jadis le sujet de tes voeux ?
Perfide, sçachant bien que tousjours dans le monde
La justice le perd où la richesse abonde ;
À ces mots Apollon se met à souspirer,
Et boüillant de fureur ; puis-je donc endurer
Qu' on abuse, dit-il, des graces de mon ange ?
Dieux ! Vous avez beau faire, il faut que je me vange.
Quoy que vous machiniez, je feray bien-tost voir
Que la fortune est foible, au prix de mon pouvoir.
Non cet esprit brutal, cette pesante masse
Que mes traits ont chassé des rives de Parnasse,
Ne se vantera pas que mes fueillages vers,
Qui ne furent jamais que le prix des beaux vers,
Servent de recompense à des rimes si basses,
Que le ciel desavouë, aussi bien que les graces.
Mon coeur est genereux, et faut-il que mon front,
Qui brille de splendeur, rougisse d' un affront ?
Il cite apres ce mot la fortune elle mesme
Devant le tribunal du monarque supresme ;
Estimant que sa cause auroit un bon succés,
Mais enfin la fortune eut le gain du procés.
Ce differend s' esmût quand la fille d' Acrise
Contraignit Jupiter d' engager sa franchise,
La nymphe estoit recluse au plus creux d' une tour ;
Où l' air n' entroit qu' à peine, aussi bien que le jour.
Quoy que dist Jupiter, il avoit beau se plaindre,
Il aspiroit plus haut qu' il ne pouvoit atteindre ;
Les mortels ennuyez de fleschir sous sa loy,
Le croyoient un tyran, plustost qu' un juste roy.
Sa prodigalité, sa débauche passée,
Et-ce que peut produire une amour insensée,
Avoient tout consommé le reste de son bien ;
Luy qui posseda tout, ne possedoit plus rien.
Helas ! Combien de fois pour assouvir sa rage,
Avoit-il mis son sceptre, et sa couronne en gage ?
Combien pour Danaé voulu vendre les cieux,
N' aimant plus d' autre ciel que celuy de ses yeux !
Combien succomba-t' il sous de grosses usures !
Aussi prit-il si mal son temps et ses mesures,
Que s' estant descrié, Saturne l' interdit,
Et ne sceut plus trouver un denier de credit.
Jupiter indigné de ce cruel outrage,
Change aussi-tost d' habit, de poil, et de langage,
Puis s' estant resolu de tromper les plus fins,
Et détrousser les dieux dessus les grands chemins,
Il vient, et va par tout, et jamais ne sejourne ;
À peine est-il party d' un lieu qu' il y retourne ;
Il a des pieds de laine, et ne fait point de bruit ;
Il ne dort que le jour, ne veille que la nuit ;
Il se glisse aux endroits des nuages plus sombres,
Et ses larcins n' ont plus pour témoins que les ombres,
Et comme il sceut fort mal ses thresors dépenser,
Par de pires moyens il en veut amasser.
Mais voyant à la fin qu' avecque ses finesses
Il n' acquerroit jamais de notables richesses,
Et que sans beaucoup d' or son esprit ne pourroit
Captiver la beauté que son ame adoroit ;
Qu' il languiroit si bien, que sa peine cruelle
Deviendroit comme luy de nature immortelle ;
Il aborde Mercure, et le tirant à part,
Implore en souspirant le secours de son art.
Ô le plus advisé de tout ce que nous sommes,
Cher ministre des dieux, cher confident des hommes,
Tu connois mon amour, et ma necessité,
Mon fils, retire-moy de cette extremité,
Fends les vagues détours de la voûte azurée,
Va te saisir là-bas d' une toison dorée.
Toy qui fais tous les jours des miracles nouveaux,
Enchante ces serpens, enchante ces taureaux,
Dont l' oeil armé de flâme, et dont l' horrible creste
M' empeschent de ravir cette riche conqueste.
Si tu le fais, amour fléchira sous ma loy,
Et la necessité s' écartera de moy.
À peine a-t' il parlé, que Mercure s' envole,
Ainsi qu' un trait de feu, dans les pleines d' Aeole,
Si bien qu' en un moment il s' approche des lieux
Qui gardent le thresor du monarque des dieux.
Là comme il s' apprestoit de réduire en pratique
Les effets merveilleux de sa verge magique,
Cybele l' apperçoit, elle dont les regards
D' icy jusques au ciel veillent de toutes parts ;
Elle apprend son dessein, le conte à la fortune,
Qu' elle aimoit d' une ardeur qui n' étoit pas commune.
Enfin, dit cette aveugle, en dépit d' Apollon,
Et malgré le troupeau de son double vallon,
Je rendray de Battus la gloire incomparable ;
Il ne m' importe pas qu' elle soit si durable,
Pourveu qu' outre l' honneur, il gouste le plaisir
De voir tout succeder au gré de son desir ;
Et qu' ayant peu d' esprit, il ait assez de ruse
Pour dérober le prix aux enfans de la muse.
À ce mot elle rid, et tourne sans compas
Ce globe vagabond qui roule sous ses pas ;
Puis s' eslevant en l' air sur ses aisles dorées,
Elle prend son essor aux voûtes empirées.
À son heureux abord tout fléchit dans les cieux,
Tout révere l' éclat de son front radieux,
Elle escarte le soin, dissipe la tristesse,
Et chacun sent en soy des pointes d' allegresse.
Jupiter qui la void, d' un regard adoucy
Sent dérider son front, et charmer son soucy ;
Et dans ce doux transport dont son coeur fut la proye,
Il oüit ce discours qui fit naistre sa joye.
Puissante deïté, dont le sacré pouvoir
Tient la terre et le ciel dans l' ordre du devoir ;
Je ne sçaurois souffrir que ton ame souspire,
Sans adoucir l' aigreur de ton cuisant martire.
Voila dequoy, dit-elle, ô monarque vainqueur !
Contenter ces desirs qui te rongent le coeur ;
Reçoy ces larmes d' or, dont la force est fatale,
Plus que le trait qui part de la main de Cephale ;
Elles ont plus d' effet qu' une simple toison ;
Elles peuvent ouvrir une obscure prison ;
Et pour te dire tout, c' est par cette richesse
Que tu dois triompher du coeur de ta maistresse.
Jupiter ébloüy de l' éclat de cet or,
Rend grace à la fortune, et reçoit ce thresor ;
Puis jure par le styx, serment irrevocable,
Que sa divinité luy seroit favorable,
Qu' il aimeroit sa gloire, et seroit son appuy,
Que qui l' attaqueroit, s' attaqueroit à luy ;
Et dans cette fureur dont son ame boüillonne,
Il jugea le procés du beau fils de Latonne,
Qui ressentit bien-tost sur ses doubles sommets
Que le serment des dieux ne se fausse jamais.
La fortune depuis la vertu décredite ;
Quiconque a le plus d' or, a le plus de mérite ;
Elle pare de myrthe, elle orne de lauriers,
Les coeurs les moins amans les fronts les moins guerriers ;
Mais sur tout elle nuit aux plus doctes poëtes ;
Et s' opposant tousjours à ces ames parfaites,
De qui les noms fameux remplissent l' univers,
Elle rend leur malheur plus connu que leurs vers.
Ainsi l' homme qui suit les ondes du Parnasse,
Vogue sur une mer qui n' a point de bonace,
Qui n' a que des escueils, des bancs, et des rochers,
Pour engloutir enfin les plus hardis nochers ;
Et plus on a d' esprit, d' adresse, et de courage,
Plustost est-t' on sur elle accablé de l' orage.
Toy qui crois que ma muse est la fille des dieux,
Et que tous ses thresors sont descendus des cieux ;
Conrart, dont la vertu digne d' avoir un temple
Sert aux parfaits amis de miroir, et d' exemple ;
Si mes productions ont pouvoir sur le temps,
Puis que tu m' as aimé dés mes plus jeunes ans,
Et que j' ay reconnu ton amitié fidelle,
J' en veux rendre en ces vers la memoire eternelle.