Poeme epique.
Sur la paix faite avec les anglois, et sur
la reduction des rebelles du Languedoc,
apres la prise de La Rochelle, l' an 1629.
Au roy.
Apres tant de travaux, et tant de bruits de guerre,
Tant de sang espandu sur l' onde et sur la terre,
Tant de flots de Neptune, et de sables mouvans,
Qui pour nous abismer luttoient contre les vents ;
Graces à la bonté de nostre destinée,
Le calme est revenu, la paix est retournée.
Nous n' avons plus d' horreur, nous n' avons plus d' effroy,
Nous ne soupirons plus l' absence d' un grand roy ;
Les fureurs de l' enfer toutes eschevelées,
Ne bouleversent plus nos villes desolées ;
Les boulets animez d' une ardante vapeur,
Ne portent plus la mort dans le sein de la peur ;
Le fer tombe des mains des plus hardis gendarmes,
L' airain ne sonne plus de funestes alarmes,
L' air n' est plus obscurcy de flottans estendars,
Et le repos enfin regne de toutes parts.
Louis, dont les regards dissipent la tristesse,
Change nos tristes pleurs en larmes d' allegresse ;
Les anges gardiens des murs de nos citez
Restablissent le cours de nos prosperitez ;
Le bruit des canons cesse, ou si l' on les employe,
C' est pour faire éclatter de nouveaux feux de joye.
On ne void plus personne endosser le harnois,
Que pour entrer en lice au milieu des tournois ;
On n' oit plus de clairons retentir dans la nuë,
Sinon ceux dont mon prince annonce sa venuë ;
L'air est libre, et rien plus ne l'offusque aujourd' huy,
Qu' un nuage de fleurs qu' on espanche sur luy.
Grand roy, puis qu'apres Dieu cette gloire t'est deuë,
Que la France joüit de la paix attenduë,
Souffre que dans l' ardeur dont je suis agité,
J' en laisse quelque marque à la posterité.
L' allegresse m' emporte, et mon ame eschauffée
Ne sçauroit se resoudre à taire ce trophée.
Une autre fois esmeu du prix de tes lauriers,
Je chanteray l' honneur de tes actes guerriers,
Lors que ton grand courage, et ta bonne fortune,
Forcerent La Rochelle en dépit de Neptune,
Et mirent sous le joug ce superbe element
Qui recevoit la loy des astres seulement.
Tandis si j' apperçois ton oreille attentive,
Le front environné d' une branche d' olive,
J' iray dans ton palais, dont les voutes d' azur
Ne peuvent rien souffrir que de riche, et de pur,
Desployer les thresors de la muse immortelle,
Et te chanter la paix d' une grace nouvelle.
Desja depuis long-temps, Mars enflé de couroux,
Avoit quitté la Thrace, et regnoit parmy nous ;
La discorde enragée, aux tresses de vipere,
Avoit envenimé le fils contre le pere,
Les freres s' outrageoient d' un courage endurcy ;
La justice, et la paix, n' habitoient plus icy.
Le peuple revolté contre son juste prince
Faisoit un boulevart de chacune province.
Cet hydre à mille chefs, ce monstre à mille voix,
Ne s' accordoit en rien qu' à se rire des loix.
Les coeurs ne respiroient dans l' horreur du carnage,
Qu' une mesme fureur sous un mesme visage ;
L' honneur estoit hay, le vice caressé,
Et dés qu' on offençoit, on estoit offencé.
L' Europe toute triste, et toute languissante,
Laissoit esvanoüir sa pompe florissante ;
Ses yeux estoient noyez d' un ocean de pleurs,
Son ame n' estoit plus qu' un enfer de douleurs,
Elle fouloit aux pieds son sceptre, et sa couronne ;
Et comme une fureur que la rage aiguillonne,
Avec son propre fer elle s' ouvroit le flanc,
Et ne se baignoit plus que dans son propre sang ;
Lors que de Jupiter les filles eternelles,
Qui servent de refuge aux ames criminelles,
Qui repoussent l' effort des foudres rougissans,
Qui respandent par tout et le baume, et l' encens,
Qui descouvrent aux dieux les secrets de nos ames,
Et volent dans le ciel sur des aisles de flâmes,
Aborderent ainsi le monarque des dieux,
Les souspirs en la bouche, et les larmes aux yeux.
Souverain directeur de toute la nature,
Que ton ordre conduit, et non pas l' avanture,
Incomparable autheur de tant d' effets divers,
Recompense des bons, et l' effroy des pervers ;
Pere, c' est bien en vain que ta grandeur immense
Affecte entre tes noms celuy de la clemence,
Si ta rigueur contraire à ce titre si doux
Traverse les humains des traits de ton couroux.
Dequoy t' auroit servy d' avoir creé le monde ?
D' avoir rendu par tout la terre si feconde,
D' avoir produit des fleurs, des fruits, et des rameaux,
D' avoir fondu l' argent de tant de claires eaux,
D' avoir coulé du feu dans tout ce qui respire,
D' avoir rafraischy l' air des souffles du zephyre,
D' avoir pourveu le ciel d' un éclat nompareil,
D' avoir logé la lune au dessous du soleil ;
Enfin sur le patron de ta divine image
D' avoir composé l' homme, et formé son visage,
Si toutes ces beautez ne flattoient plus ses sens,
Et si Mars luy volloit ses plaisirs innocens ?
Si tu balances tout au poids de ta justice,
Si tu veux égaler le chastiment au vice,
Si tu confonds tous ceux qui violent ta loy,
Qui pourra desormais paroistre devant toy ?
L' Europe seulement ne sera point destruite,
Le funeste malheur où ta main l' a reduite
Dans un mesme cercuëil le reste abysmera ;
Alors, pere, dy-nous qui te reclamera ?
Tu n' auras plus d' autels, de feux, ny de victimes,
La vertu sera morte aussi bien que les crimes,
Perdant toute la terre avec tous les humains,
Les bons ne seront plus couronnez de tes mains ;
Et si tu n' entends plus tant d' estranges blasphémes,
Tu n' oyras plus aussi tes loüanges suprémes
Seigneur, sauve ton peuple, et qu' un trait de pitié
Estouffe dans ton sein ta juste inimitié.
S' ils ont franchy les loix que tu leur as prescrites,
Tu les as bien punis selon leurs démerites.
Maintenant qu' ils n' ont plus que les cieux pour objets,
Traitte-les comme un roy qui cherit ses sujets ;
Escarte les horreurs de ces fieres tempestes,
Qui depuis si long-temps pendent dessus leurs testes ;
Et dissipant la nuit de ces troubles espais,
Fay luire dessus eux le beau jour de la paix.
C' est ainsi que parloient les prieres zelées
Pour le commun repos des ames desolées ;
Leur pere en fut touché d' un sentiment humain,
Sa foudre s' esteignit, et tomba de sa main.
Lors de ces yeux divins qui penetrent les choses
Que dans son vaste sein nature tient encloses,
Il jette sur la terre un regard adoucy,
Et void en un moment tout ce qu' on fait icy.
Il void ceux d' Albion, dont l' injuste entreprise
Vouloit joindre la Seine avecque la Tamise,
Blasmer ouvertement ce superbe dessein
Qu' un démon de faveur leur coula dans le sein.
Il le void estendu sur la rive deserte,
Plus craint devant sa mort, que plaint apres sa perte.
Il void loüer par tout la puissance du bras
Qui mit ce grand colosse et son orgueil à bas.
Il void le beau soleil de la terre Albionne,
Digne heritier du roy dont il tient sa couronne,
Tantost se vouloir mettre à la mercy des flots,
Et tantost souhaiter le calme du repos.
Il void d' une autre part nos trouppes infidelles
Loger le desespoir dedans leurs citadelles,
Sur la rebellion fonder tout leur appuy,
Mesconnoistre leur roy, se liguer contre luy,
Traverser ses desseins, et d' une ardeur mutine
R' allumer le flambeau d' une guerre intestine,
Attirer dessus eux les funestes dangers
Qui menaçoient desja les peuples estrangers,
Divertir nos canons, dont la flâme foudroye
Tous ces monts orgueilleux qui bornent la Savoye,
Se creuser des tombeaux, nous causer des regrets,
Et joindre aux verds lauriers de lugubres cyprés.
Il void un Richelieu, le phoenix de cet âge,
Produire des effets dignes de son courage,
Plein de zele, et d' amour, restablir en tout lieu
Le service du prince, et la gloire de Dieu
Il connoist son esprit dans les choses passées ;
Et sondant jusqu' au fonds ses secrettes pensées,
Il void qu' apres les soins d' un monarque indompté,
Nostre salut dépend de sa prosperité ;
Qu' il n' a dans ses desseins d' autre but que la gloire
D' enrichir de son nom les tableaux de l' histoire,
De rendre sa vertu plus forte que les ans,
De servir de lumiere à tous les courtisans ;
Et des jours bienheureux d' une paix assurée
Former un siecle d' or d' eternelle durée,
Apres ce noble objet il void d' autre costé
Dans le pompeux enclos d' une riche cité,
La merveille de l' Arne, et l' ornement du Tage,
Aux pieds des immortels embrasser leur image ;
Espandre mille voeux, mille cris innocens,
Qui volent dans le ciel sur des globes d' encens.
Il void ces deux soleils couronnez de loüanges,
Qui possedent le zele et la beauté des anges,
Monstrer que rien ne manque à leur devotion,
Puis que rien ne deffaut à la perfection.
Dés qu' un nouveau courier aborde ces deux reines,
Il void que nostre sang se glace dans nos veines,
Qu' un frisson nous assaut, que nous tremblons d' horreur ;
Louis est le sujet d' où part nostre terreur.
Las ! Nous craignons pour luy que la chance des armes
N' arrose encor les lys des ruisseaux de nos larmes ;
Nous sçavons bien qu' il est d' un courage boüillant,
Qu' il n' aime rien au prix du bruit d' estre vaillant,
Que son ame est d' honneur, et de gloire animée,
Qu' il est comme le chef la main de son armée,
Que pour nostre salut il prodigue le sien,
Qu' il ne craint point le mal, s' il nous cause du bien ;
Et quoy qu' il ait un coeur qui soit incomparable,
Il n' a pas toutesfois un corps invulnerable.
Ce dieu void d' autre part ce prince resolu
Où le ciel l' a fait roy de s' y rendre absolu ;
Il ne menace plus que de fer et de corde
Ceux qui n' ont point recours à sa misericorde ;
Comme un torrent coulé de la cime d' un mont,
Pour fondre sur Privas il quitte le Piémont.
Il estonne Pluton de ses creuses tranchées,
De carnage et de sang les plaines sont jonchées ;
Ses boulets enflâmez volent de toutes parts,
Mettent la ville en feu, destruisent ses ramparts ;
D' un et d' autre costé les trompettes s' entonnent,
Toute chose en fremit, les astres s' en estonnent.
Louis seul est sans peur, le courage luy bout,
Il pense tout pouvoir parce qu' il ose tout ;
Ses palmes sont de sang et de meurtre couvertes,
C' est au fort des perils qu' il les trouve plus vertes ;
Il porte plus de morts qu' il ne porte de coups,
Et rend de sa valeur les dieux mesmes jaloux.
À la fin tout luy cede, et ses armes royales
Abbatent dessous luy ces trouppes desloyales ;
Il calme tous les vents qu' ils firent émouvoir,
Et rangeant ces mutins au terme du devoir,
Il joint à tant d' amour sa vengeance assouvie,
Que la terre l' admire, et que le ciel l' envie.
Ce grand fils de Saturne ayant consideré
Du siege le plus haut de l' Olympe azuré,
Les secrets que chacun celoit en son courage,
Fit appeller la paix, et luy tint ce langage.
Ô le plus doux espoir de la terre et des cieux,
Unique reconfort des hommes et des dieux,
Ma fille, dont l' objet flatte ce que je crée,
Qui ne vois rien d' égal à ta pompe sacrée,
Sçache que les mortels, guidez d' un zele ardant,
Ont desarmé mon bras du tonnerre grondant,
Leurs prieres ont eu de plus puissantes armes,
Je n' ay pû rejetter leurs souspirs, et leurs larmes.
Quoy que leurs crimes soient crimes à condamner,
Il ne m' en souvient plus que pour leur pardonner.
Je change en amitié ma colere, et ma haine,
Je veux que les plaisirs succedent à la peine ;
Et comme leur orgueil provoquoit mon courroux,
Leur zele m' a rendu plus traittable et plus doux.
Ma fille, pren ton vol, et fonds sur cette terre
Qui fournit de theatre aux fureurs de la guerre ;
Chasse dans les enfers ces monstres irritez,
Qui changeant en deserts les lieux plus habitez,
De cent bouches de fer vomissent une foudre,
Qui force les ramparts, et reduit tout en poudre.
Remets dans le fourreau tous ces glaives tranchans,
Qui pavent de corps morts les villes, et les champs,
Joins les coeurs divisez d' une estroitte alliance,
Estouffe dans leur sein leur sombre deffiance,
Fay rendre à chacun d' eux ce qu' il doit à son roy ;
Qu' ils goustent le repos que l' on trouve chez soy,
Qu' ils aiment la vertu, qu' ils craignent la justice,
Et ne se bandent plus sinon contre le vice.
Ainsi dit Jupiter, dont tout le firmament
Tressaillit d' allegresse, et de ravissement,
Comme alors qu' il parloit le démon du silence
Fit ressentir par tout sa douce violence ;
Le zephire arresta son haleine et sa voix,
Les oyseaux par respect se teurent dans les bois,
Thétis retint plus court le reflus de son onde
Que quand un alcyon met ses petits au monde.
Tandis ce doux objet de la terre et des cieux,
Obeïssant aux loix du monarque des dieux,
Prend congé de son pere, et son aisle azurée
L' emporte en un moment loin du ciel empirée.
Par tout où la deesse estalle sa beauté,
Le jour perce la nuë, et dore sa clarté ;
Le baume, le jasmin, le thin, la marjolaine,
Parfument l' air d' autour d' une soüefve haleine.
Zephyre couronné de roses et de lys,
S' envole dans le sein de sa chere Philis ;
Le tygre ne sent plus l' esguillon de sa rage,
Le serpent adoucy ne fait plus de ravage ;
Les bois ne couvrent plus aucune trahison,
Les champs ne portent plus d' aspic, ny de poison.
Tout est semé d' appas, tout est remply de charmes,
Les plaisirs ne sont plus entremeslez de larmes,
Le coeur le plus cruel incline à la pitié,
Tout souspire d' amour, tout cherche sa moitié ;
La palme genereuse au palmier se marie,
L' herbe flatte les fleurs au sein de la prairie,
Le feüillage ondoyant des petits arbrisseaux
Charme d' un doux babil les nymphes des ruisseaux ;
L' orme de ses bras verds embrasse le lierre ;
Bref, la paix, et l' amour, regnent dessus la terre.
Ainsi quand Apollon visite sa Delos,
Neptune en sa faveur calme l' air et les flots ;
Les fleurs naissent aux prez, les plantes rajeunissent,
L' eau ne bruit que son nom, les oyseaux le benissent ;
Tout rid à sa venuë, et les rayons du jour
Ne quittent qu' à regret cet aimable sejour.
Apres tous les destours d' une longue carriere,
La paix fait dedans Londre éclater sa lumiere,
Et se monstrant aux yeux, elle touche les coeurs
D' un violent desir d' appaiser leurs rancueurs,
De reconcilier les trouppes mutinées,
Et de couler enfin de paisibles journées.
Tout ce peuple du nort, mettant les armes bas,
Sent refroidir l' ardeur qui le meine aux combats,
Et n' est pas-un d' entr' eux qui n' ait dans la pensée
Je ne sçay quelle horreur de sa faute passée.
Charles, ce puissant roy, sent son ame saisir
D' un secret mouvement d' amour, et de plaisir.
Il estouffe en son coeur sa colere, et sa haine,
Et ne demande plus qu' à posseder sa reine ;
Sa grace, et ses appas, ses charmes innocens,
Sont les plus doux objets qui luy flattent les sens.
Il revere les lys, dont la beauté l' oblige
D' en caresser la fleur, et d' en aimer la tige ;
Et croid que c' est un poinct contraire à la douceur,
D' estre ennemy du frere, et de cherir la soeur.
Plein d' un si beau desir, il commet vers ce prince
L' un des sages milords qui reglent sa province,
Qui couvert d' oliviers, l' oeil gay, libre d' ennuy,
Vient demander la paix qu' il remporte chez luy.
Voila les premiers fruits dont la nymphe immortelle
Voulut favoriser ce peuple amoureux d' elle.
Comme elle en est contente, il en est satisfait,
Il en prise la cause, il en gouste l' effet,
il en rend grace au ciel, et par tout dans ses ruës,
les marques de sa joye éclattent dans les nuës,
le ciel brille d' éclairs, et la terre de feux,
ce ne sont plus que ris, ce ne sont plus que jeux ;
la Tamise en soufrit, et des bords de son onde
ses cygnes font sçavoir sa gloire à tout le monde.
Apres avoir ainsi par le vague des airs
traversé des rochers, des fleuves, et des mers,
qui sembloient s' amolir, et repousser l' orage,
dés que la paix sur eux ébranloit son plumage ;
cette fille du ciel, cette divinité,
de qui seule dépend nostre felicité,
pleine de cette ardeur qui bout dedans ses veines,
vient fondre comme un vent dans le sein des seveines.
Là son regard fleschit ces esprits obstinez
qu' un faux zele rendoit contre elle mutinez.
Ils detestent leur crime, et mettant bas les armes,
le coeur plein de sanglots, les yeux noyez de larmes,
se viennent prosterner aux pieds de ce grand roy,
qui nous fournit d' exemple aussi bien que de loy ;
implorent sa mercy, le connoissent pour maistre,
et se tesmoignent tels qu' ils devoient tousjours estre.
Ainsi quand l' ocean bouleverse ses flots,
qu' il surmonte la force, et l' art des matelots,
que l' amant sourcilleux de la belle Orithie,
quittant l' affreux climat de la froide Scythie
les esleve tantost jusqu' au throsne des airs,
et tantost les abisme au gouffre des enfers ;
si Neptune paroist sur la face des ondes
dans son char attelé des phocques vagabondes,
Aeole incontinent appaise sa fureur,
cet element n' a plus un visage d' horreur,
son onde s' applanit, ses mortels précipices
n' ont plus pour les vaisseaux que des routes propices,
son orage se calme, et les mignards zephyrs
flattent les nautonniers du vent de leurs souspirs.
De mesme la déesse, en quelque part qu' elle aille,
et le ciel s' esclaircit, et la terre s' esmaille,
le vaincu reconnoist la loy de son vainqueur,
elle estouffe sa haine, et luy gagne le coeur,
et de son doux lien finalement assemble
ceux qui depuis longtemps ne pouvoient vivre ensemble.
Aussi ce grand monarque à leurs cris fléchissant,
et de son fier couroux l' aigreur adoucissant,
pardonne leur erreur, et reçoit leur hommage,
merveilleuse bonté digne de son courage !
Ils sentent sa douceur ainsi que ses bienfaits,
et respirant comme eux le doux air de la paix,
il esteint le flambeau de la guerre intestine,
Et creve sous ses pieds la discorde mutine.
Mais pour montrer combien cette paix luy plaisoit,
Et de nouveaux desirs dans son ame attisoit ;
Il quitte les sommets des montagnes steriles,
Pour la conduire au sein de la reine des villes.
Le peuple qui la void de l' esprit, ou des yeux,
Pense voir sur la terre un bel ange des cieux,
Sa peur s' évanoüit, son martyre s' appaise,
Et son estonnement est tesmoin de son aise.
Toy qui vois sous tes pieds les globes flamboyans,
Qui n' ornes point ton front des lauriers verdoyans
Dont les fraisles replis nos testes environnent,
Mais des feux eternels dont les dieux se couronnent ;
Muse, si jusqu' icy la splendeur de tes rais
A paru dans cet hymne avecque tant d' attraits,
Donne-moy le pouvoir, donne-moy le courage,
De peindre desormais une parfaite image
De tout ce que le ciel fit jamais de plus beau ;
Que je charme les yeux d' un spectacle nouveau,
Que traçant de la paix le triomphe supresme,
J' eternise ma gloire, et triomphe moy-mesme ;
Et qu' apres le flambeau qui dore l' univers,
Rien ne se puisse voir plus connu que mes vers.
Mais vous qui dans l' horreur des traverses passées,
Et parmy les excés des fureurs insensées,
Sentistes tous les maux qui se vindrent offrir,
Et souffristes aussi tout ce qu' on peut souffrir ;
Cessez de murmurer contre le cours des astres,
Vous estes parvenus au bout de vos desastres ;
Que la crainte et le deüil ne vous agitent plus,
Cet ocean pour vous n' aura point de reflus.
Levez les mains au ciel, dont le soin vous octroye
De nager à souhait dans un fleuve de joye ;
Et salüant la paix, dont l' aimable bonté
Vient vous rendre le bien qu' on vous avoit osté,
Contemplez son triomphe, et sa gloire, en son lustre,
Puis qu' on ne vid jamais de pompe plus illustre.
Peuple, voyez sa suite, et ses divers appas,
Allez semer des fleurs au devant de ses pas,
Et rendant vos esprits, et vos visages calmes,
Ombragez vos cheveux des myrthes, et de palmes,
Couronnez de festons le front de vos autels,
Faites luire par tout ces flambeaux immortels,
Dont la vive splendeur efface la lumiere
Que le soleil espand au fort de sa carriere.
Recevez la déesse, ô peuple, la voicy,
Est-elle belle au ciel, comme elle est belle icy ?
Voyez ses yeux brillans dont la splendeur surmonte
Ceux que respecte Cypre, et qu' adore Amarhonte ;
Sont visage est un lys dont la vive blancheur
Emprunte d' un oeillet le teint, et la fraischeur ;
Son abord est courtois, et son front peu severe
Luit d' une majesté qu' on aime, et qu' on revere ;
Le ris est sur sa levre, et dans ses blonds cheveux
L' amour et le zephire inventent mille jeux.
Le rameau verdoyant qui chasse la tempeste,
Se mesle aux clairs rayons qui luy ceignent la teste,
Et celuy dont Minerve obligea les humains,
Pour contenter nos yeux, fleurit entre ses mains.
Son dos est ombragé de plumes azurées,
Qui dessus les cerceaux de leurs aisles dorées,
Luy firent traverser la carriere des cieux,
Pour la rendre adorable à quiconque a des yeux.
En ce superbe estat, éclattante de gloire,
La déesse paroist sur un siege d' yvoire,
Dans un char de triomphe artistement taillé,
D' opales, de rubis, de saphirs esmaillé,
Bordé tout à l' entour d' ondoyantes crespines,
Qui joignent à l' azur, l' or et les perles fines.
Sur les plis de ce char en bosse relevez,
Respirent mille objets que Dedale a gravez.
On y void d' une part les filles de Celée,
Prince dont la bonté ne peut estre égalée,
Lasses d' avoir chassé dans le sein des forests,
Dissiper les ennuis de la triste Cerés,
L' enlever de sa grotte, et pleines d' allegresse
La rendre venerable aux peuples de la Gréce.
Pres d' elle Triptoleme, ainsi qu' un beau soleil,
S' esclost heureusement des ombres du sommeil ;
La ville d' Eleusine, au poinct de sa naissance,
Ne peut cacher l' excés de sa resjoüissance ;
Elle benit le ciel, qui dans le temps préfis
Vient rajeunir un pere, en luy donnant un fils ;
À mesure qu' il croist, tout le monde l' admire,
Il a plus de beautez qu' un autre n' en desire,
Et devient si remply de merite en effet,
Qu' on doute si les dieux, ou les hommes, l' ont fait.
Cerés meurt de desir que chacun le cherisse,
Elle est également sa reine, et sa nourisse ;
Elle l' aime si fort, que pour l' amour de luy
Elle n' a plus au coeur l' objet de son ennuy.
Aussi dans les transports de son amour extresme
Elle luy fait un bien qu' elle s' oste à soy-mesme,
Elle luy donne un char attelé de serpens ;
Vous diriez à les voir deçà delà rampans,
Que l' esmail se détache, et quitte sa matiere,
Pour traverser les airs d' une viste carriere.
Plus bas cette déesse atteinte du soucy
De se rendre celebre, et Triptoleme aussi,
Luy communique l' art qui peut rendre fertile
Le champ le plus desert, et le plus innutile ;
Luy monstre comme il faut les taureaux atteler
Pour cultiver la terre, et la renouveler,
Luy sillonner le flanc d' une atteinte profonde,
Espandre dans son sein une graine feconde,
Abbatre les moissons, les gerbes enlacer,
Les espics eschappez l' un sur l' autre entasser,
Les mettre sous le fleau comme sous la torture,
Et puis les convertir en nostre nouriture.
On void d' une autre part sur ce char triomphant
La reyne de Cythere embrasser son enfant,
Et sur un lit de fleurs nouvellement écloses,
Ombrager ses cheveux d' un nuage de roses.
Pres de là des bergers conduisans leurs troupeaux
Dedans le sein des prez, et sur le bord des eaux,
Semblent prester l' oreille aux chansons inégales
Que la nature inspire aux gentilles cigales.
Icy l' on void des socs, là des coutres tranchans,
Icy l' on void des bois qui couronnent des champs ;
Là de petits ruisseaux, dont les sources fecondes
Traisnent sur des fleurs d' or le crystal de leurs ondes.
Icy mille bergers, apres un doux repas,
Font trembler en dançant la terre sous leurs pas,
Cependant qu' un trouppeau de pucelles cheries
Augmente leurs beautez de celles des prairies.
Là d' un autre costé s' enfle une mer d' argent,
Dont les paisibles flots ne vont rien submergeant ;
Tout est calme sur elle, et pas-un ne souspire,
Si peut-estre ce n' est quelque amoureux zephire,
Qui roulant sur les eaux qu' il frise à petits plis,
Se resjoüit de voir ses desirs accomplis.
Icy de grands vaisseaux tous blanchissans de voiles,
Voguent sur la faveur du jour, et des estoiles ;
Aquilon s' en escarte, ou s' il fait quelque effort,
C' est pour les faire ancrer plus vistement au port.
Là de moites tritons à l' eschine escaillée,
Des nymphes aux yeux vers, à la tresse esmaillée,
Tous le cornet en bouche, animent des chansons
Qui font dancer les flots au branle des poissons ;
Et le tout est orné d' une telle sculpture,
Que tous les traits de l' art y passent la nature.
Au plus haut de ce char, sous un dais azuré,
Paroist ce puissant roy dans la France adoré ;
Son habit est de pourpre, et d' une hermine franche
Qui passe en pureté la neige la plus blanche.
Mille fleurs de lys d' or estincellant dessus
Attirent les regards sur leurs replis bossus ;
Mais le brillant éclat de tant de broderies
Cede à son diadéme orné de pierreries.
Un sceptre redouté s' esleve dans sa main,
Il a le coeur d' un dieu sous un visage humain,
Et monstre toutesfois dans une mine austere
Qu' il faut que tost ou tard, on luy soit tributaire.
Tel d' un docte pinceau ce peintre ingenieux
Peignit un Jupiter dans le throsne des cieux,
Lors que son bras armé des pointes du tonnerre
Menace justement les crimes de la terre.
Sur un siege plus bas, en superbe appareil,
Esclate Richelieu sous un chappeau vermeil.
Il n' est point de dangers que ce fameux pilote
N' ait tousjours escartez bien loin de nostre flotte.
Il connoist sans faillir la carte des estats,
Et donnant de l' envie à tous les potentats,
Il borne ses desirs à leur faire connaistre
Qu' il aime la grandeur, puis qu' il aime son maistre.
Puisses-tu grand heros le servir tellement,
Que ton heureux aspect soit tout son element ;
Qu' à jamais sa faveur, secondant tes pensées,
Serve de recompense à tes peines passées.
Puisses-tu voir encor tout le monde avec toy
Ne reverer qu' un dieu, ne connoistre qu' un roy,
Regler ses actions sur celles de ta vie ;
Puisses-tu faire enfin confesser à l' envie,
Que parmy les grandeurs dont tu fus revestu,
Ta fortune est encor moindre que ta vertu.
Mais, ô mon doux espoir, quel excés de lumiere
Me fait sortir ainsi de ma route premiere,
Qui change malgré moy le sujet entrepris ?
Muse, mon cher soucy, rassemblons nos esprits.
Moderons la chaleur du feu qui nous possede,
Le jugement deffaut où trop d' amour excede.
Reprenons le dessein que nous avons laissé,
Mettons les derniers traits au portrait commencé ;
Et dans ce vif tableau d' un superbe trophée,
Esgalons nostre plume à la lyre d' Orphée.
Six coursiers animez d' un âge vigoureux,
Traisnent esgalement ce beau char apres eux ;
En benissant le ciel de leur voix hennissante,
Marquent cet heureux jour d' escume blanchissante ;
Leur crin flotte à long plis mollement agitez,
Sur leurs yeux éclattans, sur leurs cous marquetez ;
Et conduisant leurs pas d' une démarche fiere
Eslevent autour d' eux de noirs flots de poussiere.
Un jeune enfant pourveu d' un lustre sans pareil,
Plus gay que le printemps, plus beau que le soleil,
D' une adresse incroyable heureusement les guide,
Et selon son vouloir serre ou lasche leur bride,
De qui les boucles d' or, et l' émail precieux
D' une flâme subtile ébloüissent les yeux.
Un peu devant ce char en pompe solemnelle
Marche d' un pas égal, une trouppe eternelle
De nymphes, et de dieux, qu' embrazé de couroux
Mars avoit mis en fuite, et chassé loin de nous.
Là se void le desir de chaque creature,
Le lien precieux de toute la nature,
La concorde qui tient dans l' une de ses mains
Le faisseau qui marquoit la grandeur des romains,
Et dans l' autre un palmier, dont les branches nouvelles
Cachent sous leur feüillage un pair de tourterelles.
Là chemine la foy, dont les simples humeurs
Monstrent à descouvert ses innocentes moeurs ;
Là rid la volupté, là saute l' alegresse,
Et là l' hymen s' allie au jeu qui le caresse.
À quelques pas de là, ces trois divines soeurs,
Dont l' haleine respire un printemps de douceurs,
Toutes d' âge pareil, bras à bras enlacées,
D' un visage semblable, et de mesmes pensées,
Marchent superbement, et ravissent nos yeux
De ces mesmes beautez qui ravissent les dieux.
Quelque part qu' elles soient, amour les environne ;
Non pas l' aveugle Dieu qui n' espargne personne,
Qui perce, et brusle tout de ses feux, de ses traits,
Qui seduit la raison avec de faux attraits,
Et qui loin de l' éclat de la voûte empirée
Nasquit honteusement des jeux de Cytherée ;
Mais ce dieu clair-voyant qui de liens divers
Unit toutes les parts qui forment l' univers,
Qui sortit le premier de la masse premiere,
Qui mit le jour au monde, et le monde en lumiere,
Qui voûta tous les cieux ; regla leurs mouvemens,
Qui désigna le lieu de tous les elemens,
Et qui continuant l' ordre de la nature,
Nous fait revivre enfin dans la race future.