L' amant solitaire.
Ode.
Tenebreuse forest, retraite solitaire,
Que vostre silence m' est doux !
Quand je souffre du mal, ailleurs il le faut taire,
Et j' ay la liberté de m' en plaindre chez vous.
Cette jeune beauté qui n' a point de seconde,
Et qui rit de me voir souffrir,
M' enjoint de le celer aux yeux de tout le monde,
Et ne me defend pas de vous le descouvrir.
Que quelqu' autre s' obstine à celer son martyre,
Et traisne sa vie en langueur ;
Pour moy je suis content, quand ma bouche peut dire
Les peines dont amour persecute mon coeur.
Je ne me plains jamais que toute la nature
Ne prenne part à mon soucy ;
Et si j' ay de l' ennuy des peines que j' endure,
J' ay du contentement de me voir plaindre aussi.
Desja ces gays oyseaux dans ce morne feüillage
Voyant l' excés de ma douleur,
Sentent pour mon sujet mille pointes de rage,
Et quittent leurs chansons pour plaindre mon malheur.
Echo dans les horreurs de ces voûtes lointaines
Augmente ses tristes accens ;
Ce n' est pas que l' amour ait augmenté ses peines,
Mais c' est qu' elle a pitié des peines que je sens.
Ces eaux qui vont roulant d' une eternelle course
Au travers de ces vives fleurs,
Sortent de leur canal, et n' ont plus d' autre source
Que ces larges ruisseaux qui naissent de mes pleurs.
Ces chesnes endurcis, ces roches insensibles
Aux mouvemens de l' amitié,
S' esmeuvent à mes cris, et devenant passibles,
Recompensent mon mal d' amour, ou de pitié.
Tenebreuse forest, retraitte salutaire,
Dont le silence m' est si doux ;
Puis que tout plaint mon mal quand je suis solitaire,
Permettez qu' à jamais je soûpire chez vous.