Solitude amoureuse.
Ode.
Cependant que la canicule
Fait un brasier de l' univers ;
Que l' air boult, que la terre brûle,
Que tous ses pores sont ouvers ;
Dans un lieu solitaire et sombre,
Où regnent la fraischeur et l' ombre,
Je respire un air gracieux ;
Mes pensers y flattent mon ame,
Et je n' y sens point d' autre flâme,
Que la flâme de tes beaux yeux.
Que je me plais d' estre passible
À ce feu qui me vint saisir !
Un coeur brutal est insensible
Aux mouvemens de ce plaisir.
C' est en secret que je le flatte,
Il m' est plus cher, moins il éclatte ;
En cela contraire au flambeau
Qui tire sa flâme de l' onde ;
Plus il se communique au monde,
Plus le monde le trouve beau.
Plein de ce feu, que dois-je craindre ?
Sans ce feu que dois-je esperer ?
C' est luy seul qui me fait atteindre,
Où je n' oserois aspirer ;
C' est luy qui m' enfle le courage,
Qui reduit en mesme servage
Celle de qui dépend mon sort ;
Et qui me fait malgré l' envie,
Trouver les charmes de la vie
Où les autres trouvent la mort.
Chere Cloris, que ton empire
Cause de desirs innocens !
Que la chaleur que je respire
Jour et nuit chatoüille mes sens !
Rien ne me peut jamais contraindre
De l' estouffer ny de l' esteindre,
Je l' aimeray jusqu' au trespas ;
Puis qu' ainsi que l' ardeur fatale
De celle qui ravit Cephale,
Elle esclaire, et ne brusle pas.
Mais quand la flâme vagabonde
De ce grand astre lumineux,
Ne sortiroit du sein de l' onde
Que pour me brusler de ses feux ;
Si tu me permets de te dire
Ce que mon pauvre coeur desire ;
J' aimerois mieux dessous ta loy
Mourir au fonds de la Lybie,
Ou dans les deserts d' Arabie,
Que de vivre éloigné de toy.
Le moindre accent de ta parole
M' éleve jusques dans les cieux ;
Et ta presence me console
Plus que ne fait celle des dieux.
Loin de toy l' oreille me tinte,
Le miel me semble de l' absynte,
Le soleil plein d' obscurité ;
Et mes plus douces resveries
Se transforment en des furies,
Dont mon coeur est persecuté.
Belle Cloris, quoy qu' il arrive,
En dépit des loix du respect,
Qui m' éloigne, et veut que je vive,
Je fuy ce lieu qui m' est suspect ;
Je quitte ses vaines délices
Qui ne me sont que des supplices,
Pour me rendre aupres de tes yeux,
Dont la pure et divine flâme
Sera bien plus douce à mon ame,
Que la fraischeur de ces beaux lieux.