La crainte amoureuse.
Sonnet 21.
Dans cette passion que j' ay pour ce que j' aime,
La crainte ny l' amour ne me quittent jamais ;
L' une avec ses glaçons estouffe mes souhaits,
L' autre avec ses ardeurs rend ma douleur extresme.
Prodigieux effet d' une beauté supresme,
Qui triomphe en rigueur, aussi bien qu' en attraits !
Ce que j' ay fait soudain, soudain je le deffaits,
Et du deffaut d' autruy je m' accuse moy mesme.
Ce prodige fameux d' orgueil et de beauté,
Mesle si bien la grace, avec la cruauté,
Qu' il inspire en mon coeur ces mouvemens contraires.
Dieux, qui voyez mon zele, et mon juste dépit ;
Pour commencer mes biens, et finir mes miseres,
Ou changez son visage, ou changez son esprit.