La fievre. Sur la maladie de M De Ganteaume,
Sous le nom de Cleomede.
Ode.
Est-il donc arresté que l' ardeur insolente
De cette fiévre lente
Desseichera ton sang, et bruslera tes os ?
Et lors que toute chose est en paix sur la terre,
Et qu' un calme succede aux troubles de la guerre,
Ne gousteras tu point les douceurs du repos ?
Aimable Cleomede, en qui le ciel assemble
Mille vertus ensemble ;
Si la terre se peint d' une vive couleur,
Si nos arbres sont d' or, et nos herbes de soye ;
Si toute ame souspire ou d' amour, ou de joye,
Faut-il que ton esprit souspire de douleur ?
Faut-il que ce printemps où tout se renouvelle
D' une grace plus belle,
Soit pour toy seulement une saison de pleurs ?
Que pour toy la douceur se change en amertume ?
Et que tu sois couché dessus un lit de plume,
Au lieu d' estre couché dessus un lit de fleurs ?
Mais que tu n' es pas seul qui plains ton infortune !
Cette plainte est commune
À ceux dont tes vertus t' acquirent l' amitié.
Dés que quelqu' un prend part au mal qui nous possede,
Si le mal n' en est pas guery par ce remede,
Il n' en est pas au moins si cuisant de moitié.
Deux princes dont le nom forcera la memoire
D' eterniser leur gloire,
Tesmoignent pour ton mal tant de ressentiment,
Que leurs felicitez leur semblent des supplices ;
Et la France pour eux n' a pas tant de delices,
Que ton malheureux sort leur cause de tourment.
Ô souverain recours de la race mortelle,
Soit que les fleurs de Dele,
Ou des rives d' Amphrise esclattent sous tes pas ;
Soit que dedans le ciel tu suives ta carriere,
Toy qui soulages tout des rais de ta lumiere,
Peux-tu voir Cleomede, et ne l' alleger pas ?
S' il n' estime rien tant que tes graces infuses,
S' il caresse les muses,
Et reconnoist le prix de nos sainctes chansons ;
Si tu l' as allaitté dés que tu le fis naistre,
Il est temps, ô grand dieu, que tu fasse parestre
Qu' un pere nouricier aime ses nourrissons.
En vain tu connoistrois les vertus excellentes
Des herbes, et des plantes,
Si tu n' en produisois quelque effet en ce lieu ;
Et ce seroit en vain que ton art tu renommes,
Si tu prestois l' oreille aux prieres des hommes,
Et ne les voulois pas exaucer comme un dieu.
Approche toy de nous, puissant fils de Latonne,
Que ta splendeur rayonne,
Sur celuy qui se jette aux pieds de tes autels ;
Vien rendre la vigueur à ses membres malades ;
Et d' un air plus charmant qu' aux festes carneades
Nous chanterons icy tes honneurs immortels.
Ne differe donc plus ce que chacun souhaite ;
Gueris, ô grand prophete,
Celuy que les neuf soeurs prennent pour leur appuy ;
Fay voir que ton dictame est un puissant remede ;
Tu ne sauveras pas seulement Cleomede,
Tu sauveras encor les muses avec luy.