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 Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE LVI

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MessageSujet: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE LVI   Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE LVI Icon_minitimeJeu 29 Nov - 10:21

PARTIE I LETTRE LVI

de Madame De Senanges, au chevalier.
je suis restée, depuis l' instant où vous êtes
sorti, immobile à la place où vous m' avez laissée :
je n' ai rien pensé, rien senti. Je retrouve enfin
des forces, et je les emploie à vous écrire. Eh
bien, monsieur, il est dit ce mot ! Vous me
l' avez arraché... applaudissez-vous de votre
ouvrage ; jouissez de ma peine, soyez heureux,
si on peut l' être quand on vient d' affliger ce
qu' on aime. Mais que vous faisoit l' aveu que je
ne voulois, que je ne devois jamais laisser
échapper ? Ne m' aviez-vous pas devinée ? Me
conduisois-je avec vous comme si j' eusse été
indifférente ? Et n' étois-je pas assez enchaînée
par mon sentiment ? Que ne me laissiez-vous
l' espoir peut-être insensé, mais consolant, d' être
maîtresse de mon secret, et sur-tout l' orgueil
de n' avoir rien à me reprocher ? Vanterez-vous
encore mon courage, ma raison, ce que j' avois,
ce que je n' ai plus ? J' ai trop compté sur mes
forces. Des combats pénibles, une résistance
coûteuse, votre douleur, vos plaintes, votre
injustice, tout ce qui vous accuse, en un mot,
tout vous a servi. Je vous ai aimé malgré moi,
je vous l' ai dit malgré tout, et mon repentir
ne peut changer mon coeur... c' en est fait,
ils sont finis pour moi ces jours tranquilles, où
je n' avois rien à cacher, où je n' avois besoin de
la discrétion de personne. J' étois calme, exempte
de crainte, ainsi que de remords ; et rien
aujourd' hui, rien ne peut me rendre à la douceur
de cet état. Que mon ame est agitée ! Quel pouvoir
vous avez sur elle, puisque vous l' avez
emporté sur tant d' efforts ! Puisque cette ame
que vous venez de déchirer, est entiérement à
vous ! Cependant n' espérez pas de moi d' autres
foiblesses ; je vous fuirois au bout du monde :
je vous fuirois, n' en doutez pas, si vous exigiez
la moindre preuve de ce que j' ai eu tant
de peine à vous cacher. Ah ! Pourquoi vous l' ai-je
dit ? Je crains de descendre en moi-même ;
je crains tous les yeux, sur-tout les vôtres ; et
je me punirai d' une foiblesse... qui pourtant me
seroit chere, si vous me juriez qu' elle suffira
toujours à votre bonheur.
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