Chapitre IV. Que la langue française n'est si pauvre que beaucoup l'estiment.
Je n'estime pourtant notre vulgaire, tel qu'il est maintenant, être si vil et
abject, comme le font ces ambitieux admirateurs des langues grecque et latine,
qui ne penseraient, et fussent-ils la même Pithô, déesse de persuasion, pouvoir
rien dire de bon, si n'était en langage étranger et non entendu du vulgaire. Et
qui voudra de bien près y regarder, trouvera que notre langue française n'est si
pauvre qu'elle ne puisse rendre fidèlement ce qu'elle emprunte des autres ; si
infertile qu'elle ne puisse produire de soi quelque fruit de bonne invention, au
moyen de l'industrie et diligence des cultivateurs d'icelle, si quelques-uns se
trouvent tant amis de leur pays et d'eux-mêmes qu'ils s'y veuillent employer.
Mais à qui, après Dieu, rendrons-nous grâces d'un tel bénéfice, sinon à notre
feu bon roi et père François premier de ce nom, et de toutes vertus? Je dis
premier, d'autant qu'il a en son noble royaume premièrement restitué tous les
bons arts et sciences en leur ancienne dignité; et si a notre langage,
auparavant scabreux et mal poli, rendu élégant, et sinon tant copieux qu'il
pourra bien être, pour le moins fidèle interprète de tous les autres. Et
qu'ainsi soit, philosophes, historiens, médecins, poètes, orateurs grecs et
latins, ont appris à parler français. Que dirai-je des Hébreux? Les saintes
lettres donnent ample témoignage de ce que je dis. Je laisserai en cet endroit
les superstitieuses raisons de ceux oui soutiennent que les mystères de la
théologie ne doivent être découverts, et quasi comme profanés en langage
vulgaire, et ce que vont alléguant ceux qui sont d'opinion contraire. Car cette
disputation n'est propre à ce que j'ai entrepris, qui est seulement de montrer
que notre langue n'a point eu à sa naissance les dieux et les astres si ennemis,
qu'elle ne puisse un jour parvenir au point d'excellence et de perfection aussi
bien que les autres, attendu que toutes sciences se peuvent fidèlement et
copieusement traiter en icelle, comme on peut voir en si grand nombre de livres
grecs et latins, voire bien italiens, espagnols et autres traduits en français
par maintes excellentes plumes de notre temps.