Le Retour
A mon ami Auguste PAIN
En souvenir de mon voyage à Fécamp
28 septembre 1905
Déjà tout est changé dans la vieille cité
D'un frisson de terreur le peuple est agité
Cette foule haletante familles de pécheurs
Semble avec le retour attendre des malheurs
On a dit que là-bas dans le vaste horizon
Des barques revenaient de la grande saison
On a dit ! Mais c'est vrai. Regardez sur la grève
Cette masse compacte, cette image de rêve
Voyez ces faces blêmes et ces coeurs angoissés
Ces regards pleins de fièvre presque désespérés
Voyez ! Le peuple attend le retour de la vie
Car avec les pécheurs elle semblait partie
Une voile oscillante apparaît tout là-bas
On croit la deviner ! Mais on ne la voit pas
C'est la voile d'un tel ! Non, c'est celle d'un autre !
Une vieille en pleurant, tout bas dit, c'est la nôtre
Elle appartient à tous et tous ils croient la voir
A cette heure suprême tout leur parle d'espoir
Les enfants souriants en causant à leur mère
Disent, les innocents, tiens voilà petit frère
Regarde donc, maman, tu vois dans le lointain
C'est sa barque qui vient, c'est elle, j'en suis certain
Les petits s'intéressent aux angoisses des grands
Les fiancées sont là pour revoir leurs amants
Les parents inquiets du retour de leur « fieu »
En remuant leurs lèvres semblent parler à Dieu
Au loin un point jaunâtre se berce mollement
C'est la première barque elle vient doucement
Elle avance, on la voit, c'est celle de Jean-Pierre
Cette fois, c'est bien lui, dit, tout heureux, son père
Eh, quoi, on ne meurt pas pour un si court voyage
Je l'ai fait plusieurs fois ! Mais quand on a mon age
La rame semble lourde à nos bras fatigués
Eh ! Puis mes picaillons je les ai bien gagnés
Jean fera comme moi quand on a du courage
On n'a pas peur des flots et l'on brave l'orage
Une autre barque, encore, s'avance vers le port
Et chacun se demande dans un frisson de mort
Ils vont nous raconter ce qu'ils sont devenus
Nos gens reviennent-ils ? Où sont-ils disparus ?
Mon fils est-il vivant ? Mon homme est-il à bord ?
Voilà ce qu'on entend, ah, quel suprême accord
Se mêle au bruit du vent qui agite les flots
Les épouses en larmes les mères en sanglots
Elles pleurent d'avance, car un triste présage
Est venu cette nuit sous une folle image
Leur parler de tempête de voiles déchirées
D'hommes fous de terreur et de barques sombrées
Les voiles déployées s'enflent au gré du vent
Bientôt pour quelques-uns va cesser le tourment
Et bientôt pour les autres apprenant du nouveau
Les gars en larmoyant vont parler d'un tombeau
D'un long jour de brouillard d'une barque perdue
D'une lutte terrible de la mort entrevue
D'un rayon d'espérance en voyant des beaux jours
Puis cruauté du sort ! Disparus pour toujours.
Les voilà débarqués ! Ah, voyez ces étreintes
Ces baisers, ces caresses qui se heurtent aux plaintes
Voyez ces grosses larmes échappées de leurs yeux
Ces pleurs disant la joie des tendres amoureux
Et ces baisers d'enfants sur le front de leur père
Qui oublie maintenant les longs mois de misère
Puis voyez le linceul jeté sur l'existence
Les mauvaises nouvelles qui expliquent l'absence
De ceux qui sont restés pour ne plus revenir
Ecoutez les sanglots qu'on ne peut retenir
Suivez ce long cortège de veuves d'orphelins
Et comme eux en pleurant insultez les destins
Mais l'année passera et quand le gai soleil
Chantera du printemps le fragile réveil
Vous verrez ceux-là mêmes qui sourient aujourd'hui
S'apprêter et partir et vous verrez l'ennui
Planer sur la cité comme plane le deuil
Sur la chère dépouille que garde le cercueil
Vous entendrez les vieux expliquer leur Destin
« L'Au revoir d'aujourd'hui », c'est l'adieu pour demain.
Honoré HARMAND