Un rêve
14 mars 1906
A mon ami Auguste
Cette nuit cher ami la caresse d'un rêve
A frôlé en passant mon fragile sommeil
Elle était si sublime et son heure si brève
Qu'on eût dit en Hiver un rayon de soleil
Berthe qui bien souvent riait de ma souffrance
D'une étrange folie a troublé mon cerveau
J'ai crû que sa douleur me parlait d'espérance
J'ai crû la posséder dans un amour nouveau
Elle avançait vers moi et sa marche lascive
Expliquait simplement qu'elle devait souffrir
Ses yeux chargés de pleurs et sa face chétive
Depuis longtemps déjà avaient su m'attendrir
D'une voix ressemblant à celle du mystère
Elle dit je reviens te parler du passé
Ecoutes si tu veux mes larmes ma prière
Si dans ton coeur meurtri tout n'est pas effacé
Allons comme autrefois marchant l'un près de l'autre
Te souviens-tu encor de nos premiers aveux
Ce langage sacré c'est le tien, c'est le nôtre
C'est le temps disparu qui nous vit bien heureux
Allons en nous grisant d'une folle caresse
Dans le petit chemin où j'aimais revenir
Les jours où ma douleur avait besoin d'ivresse
Où pour me consoler j'avais le souvenir
Emu car je l'étais sur sa lèvre suprême
Pour apaiser ma soif je cueillis un baiser
Un silence et tout bas Elle dit quand on aime
Il est une heure chère où tout doit s'oublier
Autrefois pauvre ami Esclave de ton doute
J'ai souffert comme toi et je t'ai consolé
Pourquoi déchirais-tu aux ronces de la route
L'avenir qui s'ouvrait pour nous plein de gaieté
Pourquoi avoir troublé d'une injuste colère
Le temps si fugitif si rapide en son cours
Pourquoi avoir blessé notre douce chimère
Et jeté le grand deuil sur nos tendres amours
Pourquoi ah je comprends ton front se fait morose
Nous avions un bonheur que tu n'as pas compris
Tu souffres trop veux-tu qu'on parle d'autre chose
Des contes amusants que nous avons appris
Mais soudain le réveil à mon âme troublée
Ne parla plus hélas des amours disparus
L'image que j'aimais vite s'est envolée
Et dans mes yeux les pleurs abondants sont venus.
Honoré HARMAND