Frissons d'automne
14 novembre 1906
À Jeanne CHAPELLE
Sous les arbres jaunis et qu'effeuille l'Automne
Allons viens effacer l'image monotone
De nos souvenirs malheureux
Dans un baiser brûlant oublions nos alarmes
Et que dans tes yeux bleus le caprice des larmes
Ne fasse plus briller ses feux.
Vois la Nature en deuil et son triste cortège
Bientôt le froid Hiver en son manteau de neige
Drapé viendra l'ensevelir
Et le chemin pierreux traversant la prairie
Sera fermé pour nous et notre rêverie
Ici nous ne pourrons venir.
Arrêtons nos regards sur la frondaison morte
Le Printemps la fit naître et l'Aquilon l'emporte
Légère au penchant des vallons
Regardons sans frémir cette image frappante
Une heure sonnera où jetés sur la pente
Vers le trépas nous glisserons.
Mais il est encor loin ce temps plein de tristesse
Ne gravons pas le deuil au front de la jeunesse
L'Automne est comme les douleurs
L'Hiver aura passé la brûlante lumière
D'un soleil radieux ranimera la Terre
Le Printemps grisera nos coeurs.
Vois le soleil pâli nous offre ses caresses
Et semble de son feu ranimer nos ivresses
Dont le Malheur était jaloux
Eloignons du Passé les trop laides images
Le soleil de l'Amour a chassé ses nuages
Et sa clarté brille pour nous.
Vivons notre beau rêve au sein de l'Espérance
Et de l'Hiver qui meurt au Printemps qui commence
Suivons les douze enfantements
Le bonheur ici bas est chose fugitive
Mais comme un frêle esquif qu'in attache à la rive
Attachons le à nos serments.
A Jeanne CHAPELLE en souvenir de l'heureuse matinée passée ensemble. Le soleil
tendre d'automne semblait ranimé la sève de la Nature, les arbres dépouillés de
leur parure verte l'été, rousse à cette saison tardive semblaient déjà prêts
pour la fécondité ; les yeux devinaient les bourgeons printaniers, tout semblait
revivre sous l'ardeur modérée d'un soleil d'automne qui ressemble bien à celui
du printemps par la douceur de ses rayons, par la clarté un peu trouble de sa
lumière.
Assis sur le penchant du coteau qui dégringole son étendue au pied du cimetière,
jusqu'au pied de la vallée nous admirons les beautés de la Nature incertaine à
cette époque de l'année qui semble l'équilibre entre le froid et la chaleur. Au
loin noyée dans une brume légère, la ville au mille toits en ardoises découvrait
son sein aux caresses du soleil son sein gris empruntant sa couleur aux toits
enchevêtrés les uns dans les autres comme de grandes ardoises rapetissées par
l'éloignement. Nos yeux lassés par cet horizon monotone et bien vague s'arrêtait
vers l'autre côté, vers les vallées de Carville, Darnétal, Saint Aubin, vers cet
autre enchevêtrement de toits naturels de coteaux embusqués les uns derrière
les autres comme des rangées de soldats sur un champ de bataille. La, un
spectacle plus grandiose nous faisait croire à ces féeries de théâtre où les
reines sortent des flancs de la montagne ou surgissent comme un oiseau d'un
taillis verdoyant. Les robes rousses des forets dominant les coteaux jetaient
une note étrange sur la robe verte des vallons noyés eux aussi dans une brume
bleutée qui me tentait pour un effet en peinture.
Puis, c'est à nos pieds sur les linceuls recouvrant la prairie que notre âme
arrêta sa contemplation sur ces manteaux de feuilles mortes que l'Aquilon
soulève et transporte vers d'autres lieux. Emus par ce tableau de la nature
expirante, nous nous abandonnâmes à cette tendre rêverie qui grise les coeurs
aimants. Un peu triste ce décor de feuilles mortes encadrant notre jeunesse qui
semblait tremblée devant l'image de la Mort.
Ce chemin pris autrefois aux jours heureux, combien l'ai-je parcouru seul avec
sous les bras les méditations de LAMARTINE ; C'est ainsi que je venais griser ma
douleur aux douleurs de Lamartine et ce que je souffrais sans trouver
l'expression juste qui caractérisait le génie du maître, je le vivais par ses
lectures qui ont jeté l'éveil dans mon âme contemplative mais qui avait besoin
d'être développée dans cette atmosphère nébuleuse où s'égarent nos pensées et
nos rêves.
Aussi, est-ce avec une réelle joie que je suis revenu sur la route du Passé avec
celle pour qui je pleurais dans le calme profond de la Nature silencieuse loin
du monde et si près de mon idéal.
Honoré HARMAND