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 Honoré Harmand (1883-1952) L'ébauche

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MessageSujet: Honoré Harmand (1883-1952) L'ébauche   Honoré Harmand (1883-1952) L'ébauche Icon_minitimeJeu 4 Avr - 9:42

L'ébauche
(Les visions du poète)
A mon ami Robert BUSNEL
28 août 1905

Depuis longtemps déjà on parle de la vie
Sous mille et un costumes, bien souvent travestie
On nous l'a présentée, riante échevelée
Suivant que des poètes la muse tracassée
Etait dans la gaieté ou bien le désespoir
Alors ! On l'habillait dans un grand linceul noir
Et les poisons suprêmes, fatales espérances
La faisaient se traîner dans des flots de souffrances
Et l'on voyait son spectre au regard languissant
Sonder d'un oeil fiévreux les portes du néant.

La vie, qu'est-ce après tout ? Un souffle, une fumée
L'étincelle que donne la bûche consumée
Quand dans l'âtre noircie, de sa douce chaleur
Elle adoucit du froid la mortelle rigueur
La vie, mais c'est l'image d'une joie passagère
C'est l'ombre d'un beau rêve, d'une gloire éphémère
C'est le dernier regard d'un mortel expirant
C'est les derniers rayons qu'exhale le couchant
C'est la plainte du coeur que l'amour a blessé
C'est dans un avenir les regrets du passé

La vie, c'est autre chose ! Pour ceux qui savent lire
Dans son livre sacré. Moi, je vais te le dire
La vie, c'est une ébauche, c'est une mise en place
C'est une allégorie que le Destin nous trace ;
Suivant que le cerveau la méprise ou l'ador
Elle est faite d'argile où sur un socle d'or
On la voit s'élever, grandir, être chef d'oeuvre
Sous la main de l'artiste qui sourit à son oeuvre

(Texte raturé
Sous un ciel orageux elle m'est apparue
Au fond d'une ruelle une nuit je l'ai vue
C'était en plein hiver, la neige en tourbillons
Sur les portes tremblantes jetait ses papillons
Dans la sombre mansarde, mon palais, ma demeure
C'est là que je naquis il devait être une heure
Autant je me souviens pour l'avoir entendu
Quand les vieux racontaient comment j'étais venu

J'étais né malheureux au sein de la misère
J'ai grandi comme un rêve que berce une chimère
Et le coeur plein de haine et les yeux pleins de larmes
J'ai pleuré de la vie les périssables charmes
Je me traîne aujourd'hui comme une loque humaine
Et je vais incertain où le hasard me mène
Comme un flot démonté que la tempête anime
Comme un désespéré sur les bords d'un abîme.)

Reprise du texte
Hier j'ai fait un rêve ; je me croyais artiste
Dans un grand atelier à l'aspect fantaisiste
Je modelais le socle d'une oeuvre originale
D'un style bien moderne, d'une idée peu banale
Je voulais de ma vie reconstruisant l'image
Adorer mon passé dans ce précieux ouvrage
Mais de sombres lueurs éclairant ma détresse
Ont frôlé mes visions d'une lourde caresse

Ce que j'ai vu Robert, comme c'était étrange
Une traînée de boue, un grand ruisseau de fange
Coulait sur les tombeaux d'un vaste cimetière
Tout était endormi dans la nature entière
Pas un souffle, un murmure, un gazouillis d'oiseaux
Un remuement de feuilles, un soupir de roseaux
Rien qu'une plainte aiguë, un grand cri de douleur
Un râle répété par un écho moqueur

J'étais seul au milieu de ce tableau de mort
Assis sur une pierre je discutais mon sort
Je revoyais cette heure où dans de petits langes
Je dormais, comme au ciel doivent dormir les anges
Je revoyais ces masques qui font peur aux enfants
Je veux parler de ceux qu'on appelle parents
Criminels et bourreaux qui pour l'heure d'amour
Se soucient peu des suites d'une folie d'un jour

Je revoyais mes pas, égarés dans le vice
Et je pleurais, Robert, d'être le sacrifice
Offert à cet autel que l'on nomme la vie
Fatalité néant, beau rêve qu'on oublie
Je revoyais l'amour et ses trompeuses lois
Les regrets d'aujourd'hui les désirs d'autrefois
Une voix me parla, tout tremblait dans on être
J'entendis un mot, un vague mot « Peut-être »

La vie tient à ce mot et vous l'aimez quand même
Pourquoi ? Parce qu'un jour une extase suprême
A laissé dans le coeur une goutte de miel
Mais au fond de la coupe, il reste encor du fiel
Et les lèvres avides buvant jusqu'à la lie
Au fond du vase impur trouvent leur agonie
On rit de ces grands mots, mais ne sont-ils pas vrais
La mort ne prévient pas elle nous suit de près
En vain on veut lutter mais elle est le plus fort
On veut la fuir à droite elle nous frappe à gauche
La vie c'est une étude et j'explique la mort
D'un côté le chef d'oeuvre et de l'autre l'ébauche.

Honoré HARMAND
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Honoré Harmand (1883-1952) L'ébauche
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