Le spectre 19 mai 1906
C'était dans une nuit longue nuit de décembre
Que je vis apparaître au milieu de ma chambre
Un spectre tout en noir
Sa figure était jeune et ses grands yeux rêveurs
Me laissaient deviner qu'il vivait de malheurs
Au sein du désespoir.
Dans un profond silence à cette heure suprême
Je lisais en songeant, les poètes que j'aime
Lamartine et Musset
Et comme eux je chantais les douleurs de la vie
Et comme eux j'admirais la nature endormie
Dans la sombre forêt.
Je pensais se peut-il que l'homme ait une lyre
Dont les tendres accords chantent ce qu'il veut dire
A l'heure de l'émoi
Le spectre s'approcha et sur moi se penchant
Il lut à haute voix le poème touchant
Il pleura comme moi.
Le temps avait passé dans mon coeur jeune encor
Je n'avais que vingt ans l'âge que l'on adore
Quand on se sent vieillir
Dans les bras de l'amour je berçais ma chimère
Mais dans un doux baiser ma gloire passagère
Ne fût qu'un long soupir.
Celle que j'adorais aimait le bruit la foule
Et le flot démonté qui bruyamment s'écoule
Dans la folle gaieté
Elle aimait le plaisir et moi l'isolement
Qui sème dans le coeur du poète souffrant
La sensibilité.
La nuit de nos adieux j'ai pleuré et mes larmes
A mon coeur en colère ont prodigué des armes
Pour attaquer le sort
Mais je me suis heurté à sa rage insensible
J'ai lutté mais en vain cet ennemi terrible
Est toujours le plus fort.
Depuis ce temps hélas une douleur stupide
Dans mes jours incertains semble creuser un vide
Et me glace d'effroi
Le spectre m'apparaît dans les noires ténèbres
Il répète à la nuit mes romances funèbres
Il souffre comme moi.
Que m'importe à présent la douceur de la vie
J'irai où vont les morts qu'on pleure et qu'on oublie
Dans l'ombre du passé
J'ai vécu de douleurs et pleuré de regrets
Je meurs, dans le tombeau, emportant les secrets
De mon rêve effacé.
Semblable au flot obscur expirant sur la rive
Je meurs en murmurant la chanson fugitive
Qui méprise la foi
Le spectre à mes côtés légèrement sommeille
Et bientôt on verra cet ami qui me veille
S'endormir près de moi.
Honoré HARMAND