La Pologne
I
Le jour, au loin, blanchissait l'horizon;
Le laboureur sortait de sa chaumière,
Et le troupeau bondissant au vallon,
Paissait déjà la verdure légère.
Le Sarmate était là; le front courbé d'ennuis,
Il voyait à regret s'enfuir l'ombre des nuits.
À ses yeux la clarté renouvelait l'outrage,
Qu'imprimait sur son front le joug de l'esclavage.
Ô ma triste patrie où donc est ta splendeur?
Le barbare, dit-il, ne craint plus ta puissance.
Comme un lion, brisé par la douleur,
Tu meurs sans te venger de sa lâche insolence.
Naguère encor, le guerrier de Wilna
Sur la tête des rois faisait brandir sa lance;
Les plaines de Madrid, les flots de Moskowa
Diront longtemps son nom et sa vaillance.
Son coursier, hennissant aux portes des palais,
Troublait impunément le sommeil des monarques,
Et le doigt sanglant des Parques
Montrait le vieux Kremlin au brave Polonais.
Mais qu'il fut court ce jour de gloire!
Les frimats ont, dans nos lauriers,
Détruit le prix que la victoire
Devait à d'illustres guerriers.
Les rois ne tremblent plus à la voix de leur maître;
Des débris de son sceptre ils ont armé leurs mains,
Et du trône orgueilleux où le sort les fit naître
Ils foulent sous leurs chars le reste des humains.
Depuis ce jour au barde solitaire
La liberté n'inspire plus d'accents;
Sa lyre s'est brisée, et la corde légère
Ne pousse que des gémissements.
Mais n'entendez-vous pas sous le soc qui résonne
Mugir l'acier qui fit trembler les rois?
Des casques et des fers, des débris de couronne,
Au laboureur pensif rappellent nos exploits.
Ici, dit-il, tombaient ces héros de l'histoire;
Toujours pour la patrie, ils bravaient les combats.
Plus loin, Poniatowski s'engloutit dans sa gloire,
Et l'Ister aux tyrans dérobait son trépas.
Hélas! de la Pologne il était l'espérance:
En vain, elle rêvait son antique puissance,
Tout, espoir, liberté dorment dans son tombeau;
De la patrie en lui s'est éteint le flambeau.