Matins de la naissance du monde qui se levaient dans le
rire du paradis terrestre où, sur un lit de roses, Ève, nue,
endormie, bouche close, ignorait encore le baiser de
l'homme...
Matins de la morsure première et de la connaissance,
matin d'adieu à l'Éden parmi les éclairs du glaive de la
destinée...
Matins de la terre réaliste, aride, sans poésie et sans
fleurs...
Matins dressés comme des géants, armés de faulx, sur la
mort des choses et des êtres...
Matin où, préludant à la haine des hommes, Caïn se mit à
haïr Abel...
Matins de l'histoire d'Asie, de Rome, d'Athènes, de
France et d'Allemagne, matins de gloire et d'horreurs
sanglantes où l'homme s'imagina créer le droit et la
civilisation...
Matins des petits peuples voués au carnage pour
l'assoiffement des fauves...
Matins de ma jeunesse où se répondaient de si multiples
ivresses, où le coeur était bon, l'âme chantante sous les
révélations de la vie...
Matins où j'ai tenu des têtes mortes dans mes bras...
Matin où je t'ai cherché, Rêve défunt, sans plus jamais te
revoir et te saisir...
Matins de Paris au Luxembourg, illuminé du sourire des
statues; matins des Champs-Élysées où semblent, dans la
gloire, revivre tout un peuple de déesses et de dieux...
Matins de Milan dont on aurait voulu presser l'air avec les
deux paumes, afin d'y capter le rire de la Joconde...
Matins d'or romains percés de flèches et de campaniles,
où s'endort le péché sous un cilice et des violettes...
Matins de Florence qui repose avec sa ceinture de légers
mamelons et de fins cyprès envolés...
Matins de Venise sur le Grand Canal où l'on croyait
respirer le parfum de George Sand et entendre les cris de
douleur de Musset...
Matins
Matins de Sorrente où sur la mer romantique glissait le
fantôme de Graziella...
Matins de Pompéi brandissant son éloquente décadence
dans la mort des ruines...
Matins de pourpre sur le golfe de Naples...
Tous les matins qui exaucèrent mes désirs de poésie et
d'enivrement...
Matins de la petite enfance heureuse, du premier désir et
des baisers neufs, chers matins de mai, de juillet et de
décembre, tombez à nouveau dans mon souvenir...
Matins de l'illusion, de la foi et de l'espérance, de la paix
dans le rêve des maisons familiales, revenez avec vos
muguets, vos lys et vos roses, bruire à mon oreille, rapportez-
moi l'ardeur de vos soleils.