Soirs
Soirs où la chair n'est qu'une grande plainte désolée vers
les étoiles...
Soirs où meurent toutes les âmes vaines, lasses de frémir
et d'adorer...
Soirs pareils à des fantômes glissant au bord du sommeil
et faisant de la nuit une fresque d'ombres passionnées...
Soirs énervés où les hommes sont tendres comme des
fleurs, et les femmes plus abandonnées que les choses...
Soirs d'ivresse dans la paix molle des campagnes...
Soirs où les fronts, comme l'azur pointé d'astres,
s'illuminent de pensées...
Soirs déployés en oriflammes sur le triomphe des
victoires ou l'amertume des défaites...
Soirs froids de janvier où les maisons silencieuses abritent
et réchauffent la misère des hommes...
Soirs de repliement sur soi, d'analyse destructrice dans
l'attente du bonheur...
Soirs d'aspirations vers des réalités qui échappent à
l'étreinte...
Soirs où sanglote, dans la tourmente, la nature effrayée de
ses crimes et de son insolente jeunesse...
Soirs d'apothéose pour les hommes de vérité qui
clamaient, en pâlissant, des raisons de salut au Monde...
Soirs de pardon et d'ivresse dans l'horreur de se
ressaisir...
Soirs d'automne discret, nuancé, subtil, de septembre,
auprès des fontaines verdies de feuilles mortes qui gardent,
en leur tombeau, les illusions de l'été, les amours d'août...
Soirs saignants, si pareils à des suaires qui enveloppent
les collines, transies des baisers de la mort...
Soirs où l'air embaumé est déchiré de mourantes
musiques.
Soirs craintifs et peureux du bonheur, qui étouffent, se
pâment et se dissolvent en embrassements.
Soirs se posant, à la façon des caresses, sur les chefs-
d'oeuvre de l'art et de la beauté...
Soirs hérissés d'angoisses sur des nuits d'agonies et
d'effrois...
Soirs descendant dans la mer avec des traînées d'astres et
l'égrènement des illusions en fleurs...
Soirs doux et caressants; Soirs sombres et tourmentés;
Soirs calmes et frais; Soirs orageux pleins de cris et de
tempêtes; Soirs chauds qui enivrent; Soirs engainés de gel et
de cristaux qui drapent la nuit d'un linceul et la dressent, sans
espoir, sous le vent des espaces, en mendiante de l'amour.
Je vous célèbre, ô Soirs, qui êtes un beau drame qui se
déchiffre et s'accorde au mystère des âmes; j'épouse en vous
les mille et un gémissements qui s'éteignent, et sur vos
ombres remuantes, je salue la promenade des chimères
enlacées.
Je vous prie, ô Soirs, si lumineux, si fiers, si élancés et si
tristes, car vous me semblez être le tombeau capitonné où le
coeur humain se cherche un asile, un temple pour la mort et
l'oubli...