III
De quoi mon intelligence qui s'ennuie se pourrait-elle
nourrir? Je refuse mon adhésion à la découverte des
théorèmes classiques; j'abolis en moi le souvenir des
logarithmes que je n'ai jamais sus; je veux ignorer la
géométrie et l'algèbre, mes deux vieilles ennemies; la
lumière connue du soleil m'offusque, et la nuit, qu'elle garde
pour le rêveur d'hier ses étoiles et sa lune! Je ne suis pas né
pour être une chose éternellement soupirante vers des lacs
romantiques, des vierges au balcon qui se pâment dans la
brise. Et j'ai dégringolé Roméo de son échelle de soie; et j'ai
tué le faune dressé sur des proies toujours possibles.
Omphale, tu ne me verras pas, étendu à tes pieds, nouvel
Hercule que fatigue sa force et qui se tue à vouloir être
tendre. Pour tes beaux yeux pervers, chargés d'étincelles,
Hélène, je n'introduirai pas, grâce à des ruses savantes, un
autre cheval de bois dans une Troie incendiée, qui regarde
avec désespoir crouler ses murailles, et sa reine devenir le
butin d'un odieux vainqueur.
J'ai dit à mes sens de se taire, à mon esprit d'ignorer le
connu. Je me veux amuser avec un rien qui sera un symbole,
mais un diable de symbole.
De quoi vais-je tirer la substance idéale? le noumène? la
structure évocatrice? Quel limon va se changer en ailes, en
bruissements, en chansons?
Dieu! qu'est-ce que je frôle? Mes doigts se glacent et sont
comme mordus par une légère caresse.
Ne craignez que je défaille! Car je ris. Et mon émotion ne
sera que de pensée. Tous les dieux me protègent, veillent sur
mon âme. J'ai la grâce de l'esprit. En vérité, je domine la
matière !
Mes sens, comme vous vous taisez! Mon âme, tu ne
pousses pas le plus léger des cris, et ma jambe, ardente aux
combats, se tient ferme, hiératique, - telle un pilier de
bronze !
... Je saisis un objet, je le palpe, - c'est idéal! Je le tourne
sous la lumière; j'examine avec soin - celui de l'esprit - les
aspects, les nuances, le vif éclat, l'harmonie qui composent
sa perfection. Je le hausse au-dessus de ma tête, je le
retourne, je l'approche de mon oreille, de mes yeux et de
mon nez. Je souffle sur sa poussière; je le presse et
l'embrasse.
Puis soudain, je m'arrête, je réfléchis, je rêve, car un
miracle se dévoile à mes yeux; je tiens la mer dans mes
mains !
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