PLUME DE POÉSIES
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 Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, I

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James
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James


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Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, I Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, I   Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, I Icon_minitimeSam 2 Fév - 15:22

CRAINQUEBILLE, I

La majesté de la justice réside tout entière dans
chaque sentence rendue par le juge au nom du peuple
souverain. Jérôme Crainquebille, marchand ambulant,
connut combien la loi est auguste, quand il fut
traduit en police correctionnelle pour outrage à un
agent de la force publique. Ayant pris place, dans la
salle magnifique et sombre, sur le banc des accusés,
il vit les juges, les greffiers, les avocats en robe,
l'huissier portant la chaîne, les gendarmes et,
derrière une cloison, les têtes nues des spectateurs
silencieux. Et il se vit lui-même assis sur un
siège élevé, comme si de paraître devant des
magistrats l'accusé lui-même en recevait un funeste
honneur. Au fond de la salle, entre les deux
assesseurs, M. Le président Bourriche siégeait. Les
palmes d'officier d'académie étaient attachées sur sa
poitrine. Un buste de la république et un Christ en
croix surmontaient le prétoire, en sorte que toutes
les lois divines et humaines étaient suspendues sur
la tête de Crainquebille. Il en conçut une juste
terreur. N'ayant point l'esprit philosophique, il ne
se demanda pas ce que voulaient dire ce buste et ce
crucifix et il ne rechercha pas si Jésus et
Marianne, au palais, s'accordaient ensemble. C'était
pourtant matière à réflexion, car enfin la doctrine
pontificale et le droit canon sont opposés sur bien
des points, à la constitution de la république et au
code civil. Les décrétales n'ont point été abolies,
qu'on sache. L'église du Christ enseigne comme
autrefois que seuls sont légitimes les pouvoirs
auxquels elle a donné l'investiture. Or la république
française prétend encore ne pas relever de la
puissance pontificale. Crainquebille pouvait dire
avec quelque raison:
-messieurs les juges, le Président Loubet n'étant
pas oint, ce Christ, pendu sur vos têtes, vous
récuse par l'organe des conciles et des papes. Ou il
est ici pour vous rappeler les droits de l'église,
qui infirment les vôtres, ou sa présence n'a aucune
signification raisonnable.

à quoi le président Bourriche aurait peut-être
répondu:

-inculpé Crainquebille, les rois de France ont
toujours été brouillés avec le pape. Guillaume de
Nogaret fut excommunié et ne se démit pas de ses
charges pour si peu. Le Christ du prétoire n'est pas
le Christ de Grégoire VII et de Boniface VIII.
C'est, si vous voulez, le Christ de l'évangile,
qui ne savait pas un mot de droit canon et n'avait
jamais entendu parler des sacrées décrétales.

Alors il était loisible à Crainquebille de répondre:
-le Christ de l'évangile était un bousingot. De
plus, il subit une condamnation que, depuis
dix-neuf cents ans, tous les peuples chrétiens
considèrent comme une grave erreur judiciaire. Je vous
défie bien, monsieur le président, de me condamner,
en son nom, seulement à quarante-huit heures de
prison.

Mais Crainquebille ne se livrait à aucune
considération historique, politique ou sociale. Il
demeurait dans l'étonnement. L'appareil dont il était
environné lui faisait concevoir une haute idée de la
justice. Pénétré de respect, submergé d'épouvante, il
était prêt à s'en rapporter aux juges sur sa propre
culpabilité. Dans sa conscience, il ne se croyait pas
criminel ; mais il sentait combien c'est peu que la
conscience d'un marchand de légumes devant les
symboles de la loi et les ministres de la vindicte
sociale. Déjà son avocat l'avait à demi persuadé
qu'il n'était pas innocent.

Une instruction sommaire et rapide avait relevé les
charges qui pesaient sur lui.


_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
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