PLUME DE POÉSIES
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 Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II

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James
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James


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Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II   Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II Icon_minitimeSam 2 Fév - 15:23

CRAINQUEBILLE, II

L'aventure de Crainquebille
Jérôme Crainquebille, marchand des quatre-saisons,
allait par la ville, poussant sa petite voiture et
criant: des choux, des navets, des carottes!
et, quand il avait des poireaux, il criait:
bottes d'asperges! parce que les poireaux sont
les asperges du pauvre. Or, le 20 octobre, à l'heure
de midi, comme il descendait la rue Montmartre,
madame Bayard, la cordonnière, sortit de sa boutique
et s'approcha de la voiture légumière. Soulevant
dédaigneusement une botte de poireaux:
-ils ne sont guère beaux, vos poireaux. Combien la
botte?
-quinze sous, la bourgeoise. Y a pas meilleur.
-quinze sous, trois mauvais poireaux?

Et elle rejeta la botte dans la charrette, avec un
geste de dégoût. C'est alors que l'agent 64
survint et dit à Crainquebille:

-circulez!
Crainquebille, depuis cinquante ans, circulait du
matin au soir. Un tel ordre lui sembla légitime et
conforme à la nature des choses. Tout disposé à y
obéir, il pressa la bourgeoise de prendre ce qui
était à sa convenance.

-faut encore que je choisisse la marchandise,
répondit aigrement la cordonnière.

Et elle tâta de nouveau toutes les bottes de poireaux,
puis elle garda celle qui lui parut la plus belle et
elle la tint contre son sein comme les saintes, dans
les tableaux d'église, pressent sur leur poitrine la
palme triomphale.

-je vas vous donner quatorze sous. C'est bien assez.
Et encore il faut que j'aille les chercher dans la
boutique, parce que je ne les ai pas sur moi.
Et, tenant ses poireaux embrassés, elle rentra dans
la cordonnerie où une cliente, portant un enfant,
l'avait précédée.

à ce moment l'agent 64 dit pour la deuxième fois à
Crainquebille:

-circulez!
-j'attends mon argent, répondit Crainquebille.
-je ne vous dis pas d'attendre votre argent ; je
vous dis de circuler, reprit l'agent avec fermeté.
Cependant la cordonnière, dans sa boutique, essayait
des souliers bleus à un enfant de dix-huit mois dont
la mère était pressée. Et les têtes vertes des
poireaux reposaient sur le comptoir.

Depuis un demi-siècle qu'il poussait sa voiture dans
les rues, Crainquebille avait appris à obéir aux
représentants de l'autorité. Mais il se trouvait cette
fois dans une situation particulière, entre un devoir
et un droit. Il n'avait pas l'esprit juridique. Il ne
comprit pas que la jouissance d'un droit individuel
ne le dispensait pas d'accomplir un devoir social.
Il considéra trop son droit qui était de recevoir
quatorze sous, et il ne s'attacha pas assez à son
devoir qui était de pousser sa voiture et d'aller
plus avant et toujours plus avant. Il demeura.

Pour la troisième fois, l'agent 64, tranquille et sans
colère, lui donna l'ordre de circuler. Contrairement
à la coutume du brigadier Montauciel, qui menace sans
cesse et ne sévit jamais, l'agent 64 est sobre
d'avertissements et prompt à verbaliser. Tel est son
caractère. Bien qu'un peu sournois, c'est un
excellent serviteur et un loyal soldat. Le courage
d'un lion et la douceur d'un enfant. Il ne connaît que
sa consigne.

-vous n'entendez donc pas, quand je vous dis de
circuler!

Crainquebille avait de rester en place une raison
trop considérable à ses yeux pour qu'il ne la crût
pas suffisante. Il l'exposa simplement et sans art:

-nom de nom! Puisque je vous dis que j'attends mon
argent!

L'agent 64 se contenta de répondre:
-voulez-vous que je vous f... une contravention? Si
vous le voulez, vous n'avez qu'à le dire.

En entendant ces paroles, Crainquebille haussa
lentement les épaules et coula sur l'agent un regard
douloureux qu'il éleva ensuite vers le ciel.
Et ce regard disait:

"que Dieu me voie! Suis-je un contempteur des lois?
Est-ce que je me ris des décrets et des ordonnances
qui régissent mon état ambulatoire? à cinq heures du
matin, j'étais sur le carreau des halles. Depuis sept
heures, je me brûle les mains à mes brancards en
criant: des choux, des navets, des carottes!

j'ai soixante ans sonnés. Je suis las. Et vous me
demandez si je lève le drapeau noir de la révolte.
Vous vous moquez et votre raillerie est cruelle. "

soit que l'expression de ce regard lui eût échappé,
soit qu'il n'y trouvât pas une excuse à la
désobéissance, l'agent demanda d'une voix brève et
rude si c'était compris.

Or, en ce moment précis, l'embarras des voitures
était extrême dans la rue Montmartre. Les fiacres,
les haquets, les tapissières, les omnibus, les
camions, pressés les uns contre les autres, semblaient
indissolublement joints et assemblés. Et sur leur
immobilité frémissante s'élevaient des jurons et des
cris. Les cochers de fiacre échangeaient de loin, et
lentement, avec les garçons bouchers des injures
héroïques, et les conducteurs d'omnibus, considérant
Crainquebille comme la cause de l'embarras, l'appelaient
"sale poireau."

Cependant, sur le trottoir, des curieux se pressaient,
attentifs à la querelle. Et l'agent, se voyant
observé, ne songea plus qu'à faire montre de son
autorité.

-c'est bon, dit-il.
Et il tira de sa poche un calepin crasseux et un
crayon très court.

Crainquebille suivait son idée et obéissait à une
force intérieure. D'ailleurs il lui était impossible
maintenant d'avancer ou de reculer. La roue de sa
charrette était malheureusement prise dans la roue
d'une voiture de laitier.

Il s'écria, en s'arrachant les cheveux sous sa
casquette:

-mais, puisque je vous dis que j'attends mon argent!
C'est-il pas malheureux! Misère de misère! Bon sang
de bon sang!

Par ces propos, qui pourtant exprimaient moins la
révolte que le désespoir, l'agent 64 se crut insulté.
Et comme, pour lui, toute insulte revêtait
nécessairement la forme traditionnelle, régulière,
consacrée, rituelle et pour ainsi dire liturgique
de "morts aux vaches! "c'est sous cette forme que
spontanément il recueillit et concréta dans son
oreille les paroles du délinquant.

-ah? Vous avez dit: "mort aux vaches!"c'est bon.
Suivez-moi.
Crainquebille, dans l'excès de la stupeur et de la
détresse, regardait avec ses gros yeux brûlés du
soleil l'agent 64, et de sa voix cassée, qui lui
sortait tantôt de dessus la tête et tantôt de dessous
les talons, s'écriait, les bras croisés sur sa blouse
bleue:

-j'ai dit: "mort aux vaches "? Moi?... oh!
Cette arrestation fut accueillie par les rires des
employés de commerce et des petits garçons. Elle
contentait le goût que toutes les foules d'hommes
éprouvent pour les spectacles ignobles et violents.
Mais, s'étant frayé un passage à travers le cercle
populaire, un vieillard très triste, vêtu de noir et
coiffé d'un chapeau de haute forme, s'approcha de
l'agent et lui dit très doucement et très fermement,
à voix basse:

-vous vous êtes mépris. Cet homme ne vous a pas
insulté.
-mêlez-vous de ce qui vous regarde, lui répondit
l'agent, sans proférer de menaces, car il parlait à
un homme proprement mis.

Le vieillard insista avec beaucoup de calme et de
ténacité. Et l'agent lui intima l'ordre de
s'expliquer chez le commissaire.
Cependant Crainquebille s'écriait:
-alors! Que j'ai dit: "mort aux vaches! "oh!...
il prononçait ces paroles étonnées quand madame
Bayard, la cordonnière, vint à lui, les quatorze
sous dans la main. Mais déjà l'agent 64 le tenait
au collet, et madame Bayard, pensant qu'on ne devait
rien à un homme conduit au poste, mit les quatorze
sous dans la poche de son tablier.
Et, voyant tout à coup sa voiture en fourrière, sa
liberté perdue, l'abîme sous ses pas et le soleil
éteint, Crainquebille murmura:
-tout de même!...
devant le commissaire, le vieillard déclara que,
arrêté sur son chemin par un embarras de voitures, il
avait été témoin de la scène et qu'il affirmait que
l'agent n'avait pas été insulté, et qu'il s'était
totalement mépris. Il donna ses nom et qualités:
docteur David Matthieu, médecin en chef de l'hôpital
Ambroise-paré, officier de la légion d'honneur. En
d'autres temps, un tel témoignage aurait suffisamment
éclairé le commissaire.

Mais alors, en France, les savants étaient suspects.
Crainquebille, dont l'arrestation fut maintenue,
passa la nuit au violon et fut transféré, le matin,
dans le panier à salade, au dépôt.

La prison ne lui parut ni douloureuse, ni humiliante.
Elle lui parut nécessaire. Ce qui le frappa en y
entrant, ce fut la propreté des murs et du carrelage.
Il dit:
-pour un endroit propre, c'est un endroit propre.
Vrai de vrai! On mangerait par terre.

Laissé seul, il voulut tirer son escabeau ; mais il
s'aperçut qu'il était scellé au mur. Il en exprima
tout haut sa surprise:

-quelle drôle d'idée! Voilà une chose que j'aurais
pas inventée, pour sûr.

S'étant assis, il tourna ses pouces et demeura dans
l'étonnement. Le silence et la solitude l'accablaient.
Il s'ennuyait et il pensait avec inquiétude à sa
voiture mise en fourrière encore toute chargée de
choux, de carottes, de céleri, de mâche et de
pissenlit. Et il se demandait anxieux:
-où qu'ils m'ont étouffé ma voiture?

Le troisième jour, il reçut la visite de son avocat,
maître Lemerle, un des plus jeunes membres du
barreau de Paris, président d'une des sections de la
"ligue de la patrie française."

Crainquebille essaya de lui conter son affaire, ce
qui ne lui était pas facile, car il n'avait pas
l'habitude de la parole. Peut-être s'en serait-il
tiré pourtant, avec un peu d'aide. Mais son avocat
secouait la tête d'un air méfiant à tout ce qu'il
disait, et, feuilletant des papiers, murmurait:

-hum! Hum! Je ne vois rien de tout cela au dossier...
puis, avec un peu de fatigue, il dit en frisant sa
moustache blonde:

-dans votre intérêt, il serait peut-être préférable
d'avouer. Pour ma part j'estime que votre système de
dénégations absolues est d'une insigne maladresse.
Et dès lors Crainquebille eût fait des aveux s'il
avait su ce qu'il fallait avouer.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
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Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II Une_pa12Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II Plumes19Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II Miniat14Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II James_12Anatole France (1844-1924).CRAINQUEBILLE, II Confes12

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