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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 8:58 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre X
Puisque le nom de Papineau vient de se rencontrer par hasard sous ma plume, laissons un peu de côté ce que j'ai à raconter de mes ancêtres d'école, et des aventures qui m'arrivèrent sous leur direction, pour parler un peu du grand tribun. Quand je naquis Papineau était en exil. Nos compatriotes des présentes générations ne se font guère une idée de l'immense prestige exercé par ce nom, à l'époque où remontent mes premières impressions de la vie. C'était comme une héroïque fanfare qui retentissait d'un bout à l'autre du pays, et qui trouvait des échos enthousiastes dans les villages les plus reculés, et même au fond des coeurs les moins belliqueux. Pour tous l'infatigable et incorruptible patriote semblait un antique paladin armé de toutes pièces, debout au seuil de chaque chaumière, prêt à défendre corps à corps le domaine sacré de nos droits, les immunités d'une race dont il s'était fait le champion. C'était une popularité universelle, sans conteste et sans parallèle de nos jours. |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:00 | |
| Je n'étais pas d'un âge assez avancé j'avais à peine quatre ans quand le grand tribun revint d'exil pour me rendre bien compte de ce que ce cri pouvait signifier; mais, à la manière provocante dont les gamins plus âgés que moi le jetaient à la face des petits Anglais ou Irlandais, c'était tout un pour nous et surtout aux accès de colère que la malencontreuse exclamation soulevait chez ceux-ci, je sentais bien, d'une façon obscure si vous voulez, qu'il y avait là comme un défi de race contre race, comme une formule de revendication nationale. Et je me vois encore debout sur le seuil de notre porte, tout fier de ma première culotte, guettant les passants surtout les Anglais pour lancer à mon tour mon petit cocorico patriotique sous forme de l'éternel « Hourrah pour Papineau! » |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:00 | |
| Les passants souriaient, et tout était dit. Mais je grandissais, et il fallait aller à l'école, entrer en contact avec la gent écolière du canton, coudoyer les petits Anglais, et dame, cela n'était pas de nature à calmer mon effervescence belliqueuse. Notre demeure s'élevait, de l'autre côté du fleuve, juste en face des fameuses plaines d'Abraham. Tous les jours je voyais, dominant les hauts mamelons, se dresser dans le lointain les rondeurs estompées des lourdes tours Martello, sentinelles avancées de l'altière citadelle de Québec où flottait le drapeau de l'Angleterre, entouré d'une ceinture de canons. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:00 | |
| Tout cela était anglais; et pourtant nous étions français, nous! Nous parlions français, nos livres étaient français, ils nous entretenaient de la France et de ses gloires! Il fallait bien m'expliquer tout cela: le pays découvert et peuplé par la France: un Canada à nous, d'abord, un Canada français. Et puis la guerre, des guerres sans fin, des succès, des revers, d'inutiles résistances, et enfin la catastrophe dans une lutte suprême, là, juste en face de nous, sur ce vaste plateau aux monticules rebondis comme le corps d'un grand lion fatigué dormant au soleil. Je me sentais le coeur tressauter, en écoutant ces récits; la défaite acceptée me semblait une monstrueuse lâcheté: et la grandiose et mystérieuse figure de Papineau, qui personnifiait pour moi toutes les révoltes que je sentais bouillonner aux sources même de mon sang, grandissait, grandissait dans mon esprit, de tout l'abaissement de ce que je croyais être l'abjection universelle. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:00 | |
| Et hourrah donc pour Papineau! Bourrades, taloches, black eyes, nez en marmelade, rien n'y faisait: « Hourrah pour Papineau! » Je ne sais pas si mes souvenirs me grossissent l'importance de mes exploits, mais si je ne me fais pas illusion en me remémorant le nombre de retenues, de pensums, de coups de martinet et de punitions de toutes sortes bien et dûment gagnés sur le champ de bataille, je ne fus pas une mince recrue pour le bataillon. Avec cela que nous avions les hommes de chantier pour nous encourager. Combien de ces farceurs-là n'ai-je pas entendus nous dire: - Tiens, v'là un p'tit Anglais qui passe! Crie: Hourrah pour Papineau! et pi claque, si t'es-t-un homme! Et ça « claquait », je ne vous dis que ça. Bref, on se battait du matin au soir; c'étaient des prises de corps continuelles. En allant à l'école, en revenant de l'école, toujours la même ritournelle, le conflit était inévitable. Hourrah pour Papineau! et cogne, mes amis!
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:00 | |
| Que voulez-vous, c'était notre manière, à nous, de prendre notre revanche de Saint-Charles et de Saint- Eustache, sans compter les plaines d'Abraham. Or le curé de la paroisse venait visiter notre école tous les mois pour nous confesser. Cela nous embarrassait un peu, vous comprenez. Ce n'était pas tout de dire: « Mon père, je m'accuse de m'être battu »; il fallait encore dire combien de fois; et c'était là le chiendent. Nous avions imaginé de tenir des registres. Oh! des registres, à l'état primitif. Pour ma part, à chaque escarmouche, vainqueur ou vaincu, je mettais un caillou dans la poche de ma culotte. Au bout de quelque temps, ma mère, toute surprise de voir une excroissance aussi protubérante qu'insolite prendre de pareilles proportions sur mon individu, s'inquiéta. - Pour l'amour des saints, dit-elle, qu'est-ce que tu as là? Je n'eus bien garde de la renseigner, cela se conçoit; et voilà ma confession par la fenêtre! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:00 | |
| Mon système ne valait rien, évidemment. Je le modifiai. Et tous les soirs, avant de me coucher, armé d'un crayon, je traçais un, deux, trois ou quatre traits, suivant le cas, habilement dissimulés derrière un des pieds de ma couchette. Cela réussit. Quand le moment de la confession fut arrivé - le curé était un peu en retard, cette fois-là je comptai mes traits de crayon: il y en avait 63! En entendant cela, le curé bondit sur sa chaise. - Mais c'est incroyable, s'écria-t-il, en arpentant la pièce la tête dans ses deux mains; vous ne faites donc que cela par ici! Mes compagnons avaient été aussi sincères que moi, à ce qu'il paraît. Je regagnai ma place tout penaud; et, bien que je n'eusse guère envie de chanter, je ne pus m'empêcher de songer à la fameuse chanson ironique qu'on avait mise à la mode depuis quelque temps: |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:00 | |
| C'est la faute, c'est la faute, C'est la faute à Papineau!
Nos parents se désolaient, c'est facile à comprendre; mais qu'y faire? Ils nous morigénaient de leur mieux, mais allez donc frapper un enfant qui a déjà le museau tout ensanglanté! Et puis, il faut bien l'admettre, nous sentions, au fond, que si l'on grondait c'était un peu par acquit de conscience, pour le principe. On nous défendait bien de crier hourrah pour Papineau, mais, pour ma part, je crus m'apercevoir plus d'une fois qu'on faisait assez volontiers semblant de ne pas nous entendre, quand nous passions par-dessus la défense. Cela ne pouvait pas durer, cependant. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:01 | |
| Une dernière équipée qui aurait pu entraîner des conséquences graves eut pour effet, au contraire, de contribuer pour beaucoup à pacifier les esprits et à ramener la concorde dans nos parages. J'avais découvert, dans notre cave, une bouteille de poudre que des mineurs, qui avaient creusé un puits au printemps, y avaient laissée. La trouvaille était intéressante; l'idée me vint de l'utiliser en me créant un arsenal. En temps de guerre, n'est-ce pas, un arsenal a son utilité. Nos porte-plumes, les tringles à rideaux, les bouts de canne à pêche, que sais je, se fabriquaient alors sous forme de tubes métalliques. J'étais bien muni de porte-plumes, les vieilles ferrailles ne manquaient pas, il n'y avait qu'à couper de longueur et à monter cela sur des crosses. En peu de temps, j'eus à mon service toute une collection de pistolets, de fusils, de carabines, de tromblons et d'espingoles; j'avais même un canon, qui avait commencé très pacifiquement sa carrière comme moule à chandelle. Et tout cela bien et dûment chargé, naturellement, et sans épargne. Sans mauvaise intention non plus. Mais comme en-cas: on ne sait jamais ce qui peut arriver. Mes camarades étaient dans l'admiration, et je plaignais de tout coeur les pauvres patriotes qui avaient été obligés de se battre, disait-on, avec des canons de bois. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:01 | |
| Une chose manquait à mon bonheur, cependant: je n'avais pas de bombes; et, circonstance aggravante, j'ignorais même ce que c'était. Il fallait bien commencer par élucider ce point. -Papa, dis-je un jour à mon père, l'histoire de Henri IV parle de bombes; qu'est-ce qu'une bombe ? -Une bombe, mon fils, c'est comme qui dirait un boulet de canon qui serait creux; cela se charge de poudre par une petite ouverture, où l'on introduit une mèche; quand cette mèche est allumée, on lance la bombe sur l'ennemi, la bombe éclate, et c'est très meurtrier. -Quelque chose comme un grelot, alors? -À peu près. -Merci. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:01 | |
| En découvrant la bouteille de poudre, j'avais aussi mis la main sur un peloton de mèches à mine (rat tau , prononcez catelle) destinées au même emploi. Un grelot fut bien vite trouvé, les ouvertures inutiles bouchées avec du suif, et bourrée de poudre jusqu'à la gueule, voilà ma bombe qui n'attendait plus qu'une allumette pour exterminer Anglais et chouayens, si jamais Papineau me fournissait l'occasion de mettre le comble à ma gloire. Je croyais sentir sur mon front flotter l'ombre du panache de Henri IV. Je pouvais crier hourrah pour Papineau! n'importe quand et n'importe où, maintenant. J'en profitai trop, malheureusement pour moi. Nos voisins les Houghton étaient des loyaux à tous crins, cela va sans dire. Il y avait là deux petits garçons dont l'aîné était à peu près de mon âge, et figurait plus souvent qu'à son tour dans mes confessions. Cette fois-là, j'avais eu le dessus; et pour mettre ma victoire à profit, je poursuivis l'ennemi jusque dans sa cour et sur le seuil de sa porte, en criant comme toujours: |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:01 | |
| -Hourrah pour Papineau! Tout à coup je me sentis saisir par l'oreille, d'une façon que, dans mon for intérieur, je n'hésitai pas à qualifier de brutale. -Ah! c'est comme ça! m'écriai-je en moi-même, pendant qu'un vieux m'éconduisait jusque dans la rue, en torturant sans pitié la partie cartilagineuse de ma personne dont il s'était ainsi subrepticement emparé; ah! c'est comme ça! eh bien, puisque les vieux s'en mêlent, nous allons avoir du plaisir! Deux minutes après, ma bombe éclatait dans la cour des Houghton, brisait une fenêtre et allait fracturer une glace de cheminée, sous les yeux terrifiés du bonhomme qui avait failli m'arracher une oreille. On imagine l'émoi, le tapage, l'indignation. |
| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X | |
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