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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X | |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 8:58 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre X
Puisque le nom de Papineau vient de se rencontrer par hasard sous ma plume, laissons un peu de côté ce que j'ai à raconter de mes ancêtres d'école, et des aventures qui m'arrivèrent sous leur direction, pour parler un peu du grand tribun. Quand je naquis Papineau était en exil. Nos compatriotes des présentes générations ne se font guère une idée de l'immense prestige exercé par ce nom, à l'époque où remontent mes premières impressions de la vie. C'était comme une héroïque fanfare qui retentissait d'un bout à l'autre du pays, et qui trouvait des échos enthousiastes dans les villages les plus reculés, et même au fond des coeurs les moins belliqueux. Pour tous l'infatigable et incorruptible patriote semblait un antique paladin armé de toutes pièces, debout au seuil de chaque chaumière, prêt à défendre corps à corps le domaine sacré de nos droits, les immunités d'une race dont il s'était fait le champion. C'était une popularité universelle, sans conteste et sans parallèle de nos jours. |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:01 | |
| -Hourrah pour Papineau! Tout à coup je me sentis saisir par l'oreille, d'une façon que, dans mon for intérieur, je n'hésitai pas à qualifier de brutale. -Ah! c'est comme ça! m'écriai-je en moi-même, pendant qu'un vieux m'éconduisait jusque dans la rue, en torturant sans pitié la partie cartilagineuse de ma personne dont il s'était ainsi subrepticement emparé; ah! c'est comme ça! eh bien, puisque les vieux s'en mêlent, nous allons avoir du plaisir! Deux minutes après, ma bombe éclatait dans la cour des Houghton, brisait une fenêtre et allait fracturer une glace de cheminée, sous les yeux terrifiés du bonhomme qui avait failli m'arracher une oreille. On imagine l'émoi, le tapage, l'indignation. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:01 | |
| -Misérable! s'écria mon père. -Mais, papa, lui répondis je, c'est des Anglais!... Dans ma pensée cela répondait à tout. Henri IV en avait fait bien d'autres... Ce fut là mon premier et mon dernier exploit d'artilleur bombardier, et même de patriote militant. Mon père, qui n'y allait pas de main morte, ne négligea rien cette fois pour me prouver, par des arguments aussi touchants que péremptoires, que nous étions en paix avec l'Angleterre. Cet incident détermina un commencement de pacification dans notre quartier, en dispersant mon arsenal d'abord, et puis en me reléguant dans les corps de réserve. Ce fut sur ces entrefaites ou peu de temps après que Papineau, revenu de France, fit sa rentrée dans la Chambre, le mandat du comté de Saint-Maurice à la main. Je l'ai dit, l'effet fut immense dans notre région; mais, grâce à mon échauffourée, dont le résultat avait provoqué l'intervention des grandes puissances, dans la personne de mon père et du curé l'un brandissant les foudres de l'Église, et l'autre, le fouet de son écurie les dispositions guerrières s'étaient singulièrement calmées parmi les citoyens en herbe de notre localité. Ajoutons que la diplomatie s'en mêla la diplomatie, l'arme de la sagesse, et la sagesse des armes. Mon père me dit un soir: - Louis, tu es plus raisonnable depuis quelque temps; c'est très bien, et je veux te récompenser. Ecoute, si tu continues à être sage et à ne pas crier hourrah pour Papineau, dans un mois d'ici, je te conduirai à la Chambre, et je te le ferai voir, ton Papineau. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:01 | |
| Jugez de mon ravissement; voir Papineau! pouvoir dire comme Eusèbe Legendre, le forgeron: « Je l'ai vu, moi aussi! oui, je l'ai vu! » J'aurais tout sacrifié pour atteindre ce nec plus ultra, cet au-delà de mes plus chères ambitions; je me serais laissé bafouer par le dernier des Irlandais; je me serais mis un cadenas aux lèvres plutôt que de risquer le moindre petit « hourrah pour Papineau », même à la sourdine. Il faut ajouter aussi que cette perspective de voir Papineau se dorait à mes yeux d'un autre prestige: elle s'associait dans mon esprit à un autre rêve qui hantait depuis longtemps ma jeune imagination. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:02 | |
| Je ne connaissais encore Québec que de loin. Je me perdais parfois en contemplation devant sa pittoresque silhouette, son rocher escarpé, sa massive citadelle, ses remparts, ses bastions, ses tours, ses clochers, ses campaniles. Mais ce qui me charmait surtout, c'était le dôme de l'ancien Parlement, ce dôme admirablement proportionné, et se dressant crânement au front de la ville guerrière comme une gracieuse cocarde au casque d'un chevalier. Ce dôme est disparu. Il s'est abîmé un jour d'hiver parmi les décombres du palais législatif incendié en 1853, on ne sut jamais par quel hasard; et ce jour-là Québec perdit, probablement pour toujours, un de ses traits les plus charmants, une des beautés les plus artistiques qui aient jamais caractérisé son incomparable aspect. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:02 | |
| Le Château Frontenac est merveilleux; mais ce dôme,... L'édifice était d'architecture néo-grecque, à trois pavillons Louis XIII, avec fronton, colonnade et tympan sculpté, surmonté du dôme en question, dont le galbe rappelait vaguement celui du Panthéon ou des Invalides toutes proportions gardées, bien entendu. Il s'élevait sur cette pointe de roc, changée aujourd'hui en terrasse, qui s'avance entre la côte de la Montagne, le jardin de l'évêché et la Grande- Batterie, en dominant la rue du Saut-au-Matelot. Le terrain était rétréci, c'est vrai, mais la situation la plus imposante qu'on puisse imaginer. De notre côté du fleuve, tout le long de la route qui nous conduisait à l'église, le coup d'oeil était sans rival au monde. A cette époque, les toits des maisons, les flèches des églises et autres points culminants de la ville étaient tous recouverts en fer blanc; jugez de l'aspect fabuleux que revêtait, au soleil levant ou au soleil couchant, ce rutilant amphithéâtre au front duquel trônait, doré comme une tiare de pontife, le dôme ce dôme dont je rêvais, et qui avait pour mon enfance le mystérieux attrait des choses inaccessibles. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:02 | |
| Ce dôme, c'était le Parlement, c'était la Chambre, où s'étaient passés et se passaient encore tant d'événements dont l'écho bourdonnait à mes oreilles depuis que celles-ci s'étaient ouvertes aux bruits de la vie extérieure. Pour voir Papineau il me fallait approcher tout cela, pénétrer dans l'enceinte sacrée... Aux yeux du plus fanatique des Croyants, le paradis de Mahomet n'eut jamais de plus attirantes perspectives ni de plus superstitieux enchantements. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:02 | |
| Enfin le grand jour arriva. Mon père était un homme de parole: je n'eus pas besoin de lui rappeler sa promesse. De son côté, ma mère, toute charmée de ma conversion, m'avait préparé une toilette en rapport avec la circonstance; je ne fus pas mieux attifé le jour de ma première communion. Nous traversâmes le fleuve en horse-boat. On atterrissait alors, du côté de Québec, sur la grève, soit dans l'anse du Cul-de-sac, soit à l'endroit où s'éleva plus tard le marché Finlay. De là, quelques zig-zags, avec quelques enjambées sur des trottoirs étroits et raboteux tout le reste passe, mais eux ne passeront pas nous conduisirent au pied de la côte de la Montagne. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:02 | |
| Là, une surprise m'attendait, une surprise qui me figea le sang dans les veines. La côte de la Montagne était alors bordée de maisons des deux côtés, ce qui en faisait un étroit boyau aboutissant par son extrémité inférieure à l'hôtel du Globe, à la jonction de la rue du Saut-au-Matelot, au point même occupé si longtemps par les bureaux du Morning Chronicle, rendus depuis peu à leur destination première, sous le nom de Neptune Inn. Or, dans une position qui me parut quelque chose comme celle du colosse de Rhodes, droit au-dessus de nos têtes, un terrible, un énorme, un gigantesque Neptune était là, atrocement peinturluré, couronne en tête et trident au poing, menaçant et tragique, comme un monstrueux démon posté là pour défendre le passage. Cette apparition étrange et soudaine me donna la chair de poule, et tout tremblant j'allais tourner les talons pour m'enfuir, lorsque mon père me dit: |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:02 | |
| -N'aie pas peur, ce n'est rien, c'est le Jupiter. Pour tout le monde à Québec, ce Neptune était un Jupiter, paraît-il. Quoi qu'il en soit, Jupiter ou Neptune, la terrifiante effigie que je n'ai jamais revue depuis, et dont la plupart des Québécois avaient perdu le souvenir lorsque M. Thomas Lavallée s'est avisé de la rajeunir sous la forme d'un amiral de fantaisie cette terrifiante effigie, dis je, m'avait causé une fameuse venette tout de même. Je m'en remis en songeant à Papineau. Quand nous franchîmes le seuil du palais législatif, la séance était commencée. En gravissant les escaliers, et surtout en pénétrant dans la galerie encombrée par la foule, je me sentais battre le coeur à outrance. L'intérêt et la curiosité du public ne semblaient pas avoir diminué à l'endroit du célèbre orateur. J'entendais tout autour de moi des bribes de dialogues: -Est-ce qu'il y est? -Oui. -Où cela? -Là, à droite. -La belle tête blanche? |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:03 | |
| -Oui: tiens, le voilà qui se lève, etc. Comme j'étais trop petit pour voir, mon père m'avait élevé dans ses bras; et je pus embrasser le grand homme d'un coup d'oeil. Une belle tête blanche en effet, un personnage de haute taille, un port plein de majesté, à l'attitude qu'on trouverait peut-être un peu théâtrale de nos jours, mais qui, à l'époque dont il s'agit constituait le suprême de l'élégance et de la distinction. Il offrait une prise de tabac d'Espagne à son voisin de gauche. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X Mer 12 Juin - 9:03 | |
| À un certain moment, un page vint lui remettre un papier quelconque, et il se leva pour prendre la parole. Il ne dit que quelques mots, mais ce fut assez pour me causer une grande surprise. J'avais été étonné déjà de voir mon héros en cheveux blancs, mais je le fus encore bien plus en l'entendant parler. Sa voix était vibrante, profonde et sonore, telle enfin que je me l'étais figurée; mais chose qui confondit toutes mes notions, déconcerta toutes mes prévisions, Papineau parlait anglais! Était-ce bien lui? Ne rêvais-je pas? J'étais renversé! Papineau parler anglais me semblait une anomalie telle que je ne pouvais en revenir. Il en fut de même de tous mes camarades quand je leur relatai la chose le lendemain. Bah! ce n'était pas à eux, par exemple, qu'on pouvait faire avaler de pareilles couleuvres. Papineau parler anglais, allons donc! Il fallait aller faire gober cela à d'autres. |
| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre X | |
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